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Joual |
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Définition |
Le mot joual résume à lui seul l'histoire récente, parfois douloureuse, du rapport des Québécois avec leur propre langue.
Dans les pays francophones hors d'Europe, la qualité de la langue française est une question qu'une certaine élite se pose à elle-même. Au Québec, elle est un défi que l'élite lance à l'ensemble de la population.
Il y a toujours eu au Québec une élite qui a parlé le français dit international. En 1960, cette élite était nombreuse et défendait ses droits linguistiques avec énergie, comme en font foi, entre autres, les manifestations des étudiants en faveur de la francisation de l'Université McGill.
C'est cette élite, représentée par un distingué journaliste du Devoir, André Laurendeau, qui provoqua la prise de conscience de la piètre qualité du français parlé par l'ensemble de la population. C'est toutefois Jean-Paul Desbiens, un homme issu du peuple, un fils d'ouvrier, qui porta le coup fatal. Il a tenu à le rappeler lui-même:
«Le 21 octobre 1959, André Laurendeau publiait une Actualité dans Le Devoir, où il qualifiait le parler des écoliers canadiens-français de "parler joual". C'est donc lui, et non pas moi, qui a inventé ce nom. Le nom est d'ailleurs fort bien choisi. Il y a proportion entre la chose et le nom qui la désigne. Le mot est odieux et la chose est odieuse. Le mot joual est une espèce de description ramassée de ce que c'est que le parler joual : parler joual, c'est précisément dire joual au lieu de cheval. »1
Ce paragraphe est tiré d'un livre de Jean-Paul Desbiens, Les insolences du frère untel,dont le succès fut immédiat (il s'en est vendu des centaines de milliers d'exemplaires!) et qui provoqua des débats passionnés, preuve que le rôle du pamphlétaire est de faire éclater les symptômes d'un mal sur le point d'affleurer à la conscience!
À travers Jean-Paul Desbiens et avec lui, c'est donc l'ensemble de la population du Québec qui se proposa un idéal élevé et aliénant selon certainsen matière de langue. Les Québécois se trouvent ainsi dans une situation unique. De nombreux linguistes soutiennent que le portugais parlé au Brésil et l'anglais parlé aux États-Unis diffèrent du portugais du Portugal et de l'anglais d'Angleterre, comme le québécois diffère du français de France. Le Brésil et les États-Unis étant plus populeux et plus puissants que le Portugal et l'Angleterre, les habitants de ces deux pays d'Amérique ont pu imposer leur langue au reste du monde.
Pour de nombreux écrivains québécois, le joual devint bientôt une langue nouvelle qu'il fallait défendre avec fierté. Dans un livre dont on trouvera un extrait dans ce dossier, la linguiste Hélène Cajolet-Laganière fait le point sur ce destin imprévu du joual: «De 1963 à 1968, des écrivains groupés autour de la revue Parti pris forment un véritable mouvement littéraire en faisant du joual un mouvement de protestation : "Ils ne veulent plus, comme tant d’autres, se complaire à dénoncer la dégradation linguistique, mais préfèrent se servir de ce langage abâtardi pour dénoncer violemment la dégradation politique, économique et sociale du peuple québécois" (Gauvin, 1974, p. 100). Michel Tremblay parle de son théâtre en ces termes : "Le théâtre que j’écris présentement en est un de «claque sur la gueule», qui vise à provoquer une prise de conscience chez le spectateur" (1969, cité par Gauvin, 1974, p. 84).»
Les Québécois parlent-ils encore joual? Précisons que ce mot dérivait du langage des Anciens Canadiens (Philippe Aubert de Gaspé au XIXe siècle, dans un livre qui porte ce nom, avait déjà noté que les paysans appelaient leur cheval guevalle). Ces paysans ont été remplacés par des agriculteurs dont la plupart ont reçu l'éducation qui leur permet de relever les défis de l'agriculture industrielle... dans un français contemporain!
1-Jean-Paul Desbiens (alias Le frère Untel), Les insolences du frère Untel, Montréal, Éditions de l’Homme, 1960.
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Aperçus divers |
Joual et créolisation du français | Besançon, Alain, « Observations prononcées à la suite de la communication de M. Gabriel de Broglie (séance du lundi 28 octobre 2002 de l'Académie des sciences morales et politiques) « Vous avez dit que le français se déforme peu. Or, quand on regarde des films français d'avant-guerre, on a parfois des difficultés à comprendre ce que disent des acteurs qui n'on que soixante ans de plus que nous. Je crains qu'il n'y ait une certaine fragilité du français par rapport à l'espagnol, par exemple, langue qui est fort correctement parlée du Mexique à la Terre de Feu ; par rapport au russe également, que l'on parle sans dialectes de Smolensk à Vladivostok. Nous voyons au contraire le français abandonné à lui-même à l'île Maurice, à Haïti, au Canada etc. où il devient le siège de créolisations qui le rendent incompréhensible. Le joual en est un parfait exemple. »
| Dilemme de la langue chez Patrice Desbien | Lasserre, Elizabeth, « Écriture mineure et expérience minoritaire : la rhétorique du quotidien chez Patrice Desbiens », revue « Études françaises », vol. 33, no 2 : « L'ordinaire de la poésie », automne 1997, p.73 Pourtant, parallèlement à cette défense de la « langue des petits », [Patrice Desbien] montre une dénonciation tout aussi forte de sa détérioration par la pénétration de l'anglais. Et l'extrait suivant pose la question de savoir si l'alternative consiste à singer le modèle de l'Hexagone : « Depuis que je suis/à Sudbury/mon français a vraiment/improuvé. Je veux écrire maintenant./Je veux écrire comme/Paul Éluard ». Nous retrouvons le même dilemme que pose la question identitaire : comment assainir l'état de la langue tout en conservant sa spécificité régionale ?
Nous voilà très proches de la problématique du joual dans les années 60 au Québec. Le commentaire suivant de Jacques Renaud, qui avait opté pour le parler des classes ouvrières de Montréal dans son roman Le Cassé (1964) révèle la double valeur qu'il lui accordait : « Le joual est le langage à la fois de la révolte et de la soumission, de la colère et de l'impuissance. C'est un non-langage et une dénonciation ».
| Le français québécois, c'est une variété de français. | cité par Gauvin, Lise, L'écrivain francophone à la croisée des langues, entretiens, éditions Karthala, Paris, 1997, 182 pages, p.59 Gaston Miron : «Je me définis comme un variant français. J'ai pris cette idée chez le linguiste Jean-Claude Corbeil. Le français québécois, c'est une variété de français. Donc je suis un variant français, comme tous les Français d'ailleurs : le français de Marseille, c'est une variante, de même le français de l'Île-de-France. C'est peut-être «le dialecte de prestige», comme dit Martinet, à l'intérieur des dialectes français ; c'est à cause de l'histoire qu'il nous apparaît comme prestigieux. On a tous une certaine diglossie vis-à-vis de ce dialecte-là.»
| Denise Bombardier: "Je n'écris pas en joual" | Denise Bombardier. Passage tiré d'une allocution prononcée lors du colloque «Francophonie au pluriel» organisé à l'occasion de la célébration du dixième anniversaire de L'Année francophone internationale (Paris, du 17 au 20 mai 2001). « Moi, je n'écris pas en joual, la langue de Michel Tremblay, qui est une langue incommunicable, qui est en fait un argot. D'ailleurs, je prends position dans mon pays sur cette question, parce que je considère que le joual est une langue qui nous enferme à l'intérieur de nos frontières psychologiques et culturelles, et ce qui me dérange c'est que cette langue est incommunicable avec le reste de la francophonie et je trouve qu'il faut pouvoir parler pour tous ceux qui parlent en français à travers le monde, il faut pouvoir être compris. J'ai donc une position qui est sujet à polémique dans mon pays. »
| Michel Tremblay | Première chaîne radio de Radio-Canada, «Indicatif Présent», «Le combat des livres» : Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, par Michel Tremblay « Né à Montréal en 1942, Michel Tremblay est l'un des plus importants dramaturges de langue française. D'une grande intensité dramatique, son œuvre compte une quarantaine d'ouvrages – pièces de théâtre, romans et récits. Michel Tremblay fait entendre la voix des déshérités et des marginaux.»
| "Les Belles-Soeurs" de Michel Tremblay | Ministère de la Culture et des Communications du Québec (Direction des communications et Direction du développement international), Une culture qui voyage, © Gouvernement du Québec, 2001 (format PDF) « En 1968, la pièce Les Belles-Soeurs de Michel Tremblay, aujourd'hui traduite en 22 langues, marque la littérature et le théâtre québécois en faisant entendre pour la première fois sur une grande scène le parler populaire des milieux urbains. La pièce a suscité un vigoureux débat entre les tenants d'un français plus standard et les promoteurs d'une langue plus proprement québécoise, appelée alors le "joual" (une prononciation locale du mot "cheval").»
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