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Des cheminots grammairiens

Raymond Besson
Président du Cercle littéraire Étienne-Cattin
Présentation
Depuis 1966, le Cercle littéraire Étienne-Cattin (issu de l Association des écrivains cheminots, créée en 1953) défend et illustre langue française dans le monde cheminot.
C'est ainsi que le C.L.E.C., présidé par Raymond Besson, assure un service de bon langage auprès de nombreuses directions techniques de la S.N.C.F et accompagne ses adhérents cheminots qui écrivent en prose ou en vers.
Il édite pour ce faire une revue bimestrielle, Le Dévorant, composée exclusivement de textes de ses adhérents et consacrée français : vocabulaire, grammaire, syntaxe, ponctuation, typographie, littérature.
Le C.L.E.C., soutenu par le Comité central d'entreprise de la S.N.C.E, est reconnu par la Délégation générale à la langue français comme association qui oeuvre en faveur du renom de la langue française.

Extrait
«...On sent bien qu'il n'y a plus qu'une volonté politique pour défendre la langue française. Mais il n'y a pas de volonté politique et, dans ces conditions, le C.L.E.C. se demande parfois pourquoi il i' s'obstine dans son combat.»

Texte
Le Cercle littéraire des écrivains cheminots (C.L.E.C.) a toujours pensé que l'entreprise est le terrain privilégié du combat pour le français : c'est là que les produits sont conçus et fabriqués, c'est là que s'élabore la publicité, c'est là que se font les exportations, c'est là que se négocient les contrats commerciaux... Bref, c'est là que sont les forces vives d'un pays.

Mais c'est surtout à partir de 1984 que, inquiets de la dégradation de la langue française à la S.N.C.F., les dirigeants du C.L.E.C. ont décidé de frapper un grand coup. Pour cela, il fallait qu'ils fussent reconnus officiellement en dehors de l'entreprise. Philippe de Saint Robert, alors commissaire général à la langue française, leur mit le pied à l'étrier en leur accordant le statut d'association dont les actions concourent à la défense de la langue française, et en suggérant leur entrée à la Commission ministérielle de terminologie des transports. Ils n'avaient plus qu'à redoubler d'ardeur, sachant que tout défenseur de la langue part, dans une entreprise, avec un lourd handicap. Il a souvent affaire à des spécialistes, à des gens qui n'ont pas l'habitude d'être contredits, pour qui la langue n'est qu'un outil, un accessoire. Même lorsque ces spécialistes ont tort, ils ne se résolvent pas à recevoir de conseils ; ils donnent aux mots le sens qui les arrange ; ils se forgent leur propre vocabulaire ; ils ont parfois leur propre dictionnaire. Avec eux, il ne faut jamais pontifier, il faut travailler en nuances, convaincre avec retenue.

La ligne directrice a donc été de convaincre le plus de dirigeants possible de l'opportunité de défendre la langue française. Insistons sur le fait que ce sont les dirigeants qu'il faut convaincre : l'entreprise reste une organisation structurée où le rôle du chef est important et le mimétisme hiérarchique affirmé. En voici un exemple.

L'activité de transport de fret à h S.N.C.F. fut dirigée, de 1987 à 1994, par un brillant patron qui avait passé quelques années aux États-Unis. À la fin de l'année 1987, il réunit une grande partie de ses collaborateurs et leur soumit quelques idées neuves, étayées par les nouvelles contraintes du transport. Parmi ces contraintes, une faisait fureur, baptisée « just in time » comme nécessité de livrer les marchandise au moment convenu. Depuis plusieurs mois le correspondant du C.L.E.C. pour la direction du Fret tentait de traduire l'expression par juste-à-temps, et il y était presque parvenu. Voilà que son directeur parla, à plusieurs reprises, de « just in Time ». Évidemment, le mal reprit vigueur parmi ses collègues, par ce phénomène de mimétisme hiérarchique précédemment évoqué... Le représentant du C.L.E.C. fit part de sa déception à son patron, lequel admit l'argumentation de son collaborateur et décida qu'a prochain numéro de la revue destinée aux clients de Fret S.N.C.F. comporterait un dossier consacré non pas au « just in time » mais au juste-à-temps. 40 000 exemplaires partirent vers les industriels français qui, dans leur quasi-totalité, renoncèrent à « just in time ». Le Commissariat général de la langue française, informé de l'histoire, pria le C.L.E.C. de rapporter devant la Commissior générale de terminologie, laquelle accepta l'expression juste-à-temps et la fit entériner par l'Académie. Le 3 mai 1988, tout étais achevé...

Ce sont donc les dirigeants des entreprises qu'il faut convaincre de l'opportunité de défendre la langue française. Le C.L.E.C a testé plusieurs moyens pour ce faire. Le patriotisme, d'abord : travailler en bon français, n'est-ce pas être bon Français ? Cela n'a pas marché : les hommes d'affaires ont, depuis belle lurette, changé d'aire d'influence ; certains en sont encore à l'Europe, mais nombreux sont ceux qui en sont déjà au monde entier... Inutile de crier cocorico !

Puis, le C.L.E.C. eut l'idée d'utiliser les armes mêmes des techniciens et des ingénieurs : les normes et la qualité. La langue est une norme : celui qui réussit à imposer sa langue dans une transaction internationale est favorisé par rapport à ses concurrents ; il travaille avec l'agilité que lui confère sa langue natale ; il n'a pas besoin de traduire ses notices, ses dictionnaires, sa publicité, ses communiqués ; il engage la bataille commerciale avec un avantage considérable ; il impose sa norme. Qu'est-ce qui justifie, dès lors, que les capitaines d'industrie des secteurs que la France domine - aéronautique, chemins de fer, physique, médecine, génie génétique, agriculture, automobile... - adoptent l'anglais ? Pensent-ils, qu'ils vendront mieux ainsi ? C'est tout le contraire : ils acceptent la prééminence de l'anglais et font le jeu de ceux qui conçoivent en anglais !

Le C.L.E.C. a aussi expliqué que la lenteur du démarrage, en France, des démarches pour la qualité résultait d'erreurs de langage. Traduire « quality control » par contrôle qualité est un contresens impardonnable, le verbe anglais to control exprimant l'idée d'une autorité s'exerçant avant l'acte, alors que, pour les Français, contrôler c'est seulement soumettre à un examen minutieux, vérifier à posteriori, après l'acte. N'avons-nous pas, nous, Français, remplacé le contrôle des naissances par la régulation des naissances ? Traduire « total quality » par qualité totale relève de l'ineptie, « total quality » signifiant qu'on maîtrise totalement la qualité ; il faut donc, en français, parler de maîtrise totale de la qualité.

Ces arguments sur le rôle de la langue dans la définition des normes et de la qualité ont fini par porter. Le C.L.E.C. a enfin été écouté. Ce qui lui a permis de remporter de bonnes victoires, la plus caractéristique étant le cas de « no-show » et de « go-show ». Alertés par l'un de ses adhérents, qui avait rencontré ces mots anglais dans une instruction destinée aux agents chargés de la vente des billets pour le T.G.V., le C.L.E.C. a immédiatement étudié et analysé ces expressions, afin de faire des propositions au directeur de l'activité des Grandes Lignes de la S.N.C.F. Pour « no-show », désignant le voyageur qui a retenu sa place mais qui ne se présente pas au départ, il suggéra défaillant ; pour « go-show », voyageur se présentant sans avoir loué, il proposa imprévu. Parallèlement, et à toute vitesse, de façon à prendre les gens de court, le C.L.E.C. a mis ces suggestions à l'ordre du jour de la première séance utile de la Commission ministérielle de terminologie des transports, puis requis formellement l'avis du directeur des Grandes Lignes ; il donna son aval le 15 novembre 1991 et la C.M.T.T. acta les choses le 27 novembre. En huit mois, tout était terminé, y compris la publication d'une instruction rectificative au personnel commercial des gares et des trains.

L'exemple de « lobbying » montre que les réactions des usagers de la langue française sont parfois imprévisibles. Traduire lobby par groupe de pression n'est pas heureux, l'expression ne se prêtant pas à la création d'une famille de mots. Voilà pourquoi le C.L.E.C. a été intéressé par une idée consistant à traduire lobbying par influençage. Immédiatement, il a tenté d'implanter ce mot... en vain. Il se trouvait toujours quelqu'un pour dire qu'influencer a un petit air perfide. Alors, en collaboration avec certains de ses contradicteurs -les mieux placés dans la hiérarchie-, le C.L.E.C. a fait une recherche de mots dont il ressortait que le seul qui pût convenir était persuasion, mot-mère d'une famille où existaient persuader, persuadé, persuasif et persuasivement, et qui pouvait aisément adopter persuadeur. On a essayé. Et brutalement, on s'est mis à employer influençage. Revirement incompréhensible !

Parlons de joint venture, ensuite. Malgré la difficulté, pour les Français, de prononcer cette expression (parfois abrégée en venture), malgré son imprécision reconnue, on n'a pas écouté le C.L.E.C. lorsqu'il parlait de co­entreprise, mot pourtant parfait. Nul ne sait pourquoi, mais il doit y avoir du snobisme là­dessous. Échec également pour leader, manager, etc. Et l'on constate, bien sûr, que les échecs portent surtout sur des mots qui dépassent largement le cadre de la S.N.C.F.

Quelque intéressante qu'elle soit, cette bataille pour la néologie n'est pas la plus importante des actions du C.L.E.C. en faveur de la langue. Il y a aussi les conseils aux revues d'entreprise, les conseils téléphoniques à ceux qui sont en peine de choisir ou traduire tel ou tel mot, les corrections a priori ou a posteriori dans certains documents ou instructions ; les interventions en réunion pour corriger tel mot ou telle expression... Autant de choses qui exigent que l'on s'adapte aux auditoires, aux circonstances et, pourquoi ne pas le dire ? aux rapports hiérarchiques ; il vaut bien mieux reprendre une discussion en aparté que de vexer quelqu'un en public.

Le travail lexical de la S.N.C.F. fit aussi l'objet de l'attention du C.L.E.C. Dans les grandes entreprises, on a besoin que tout le monde utilise les mêmes mots pour désigner les mêmes choses. D'où la nécessité de rédiger un dictionnaire du vocabulaire de l'entreprise. Une commission fut créée à cet effet, et le C.L.E.C. s'est toujours débrouillé pour y être. Combien d'anglicismes ont ainsi été boutés hors de la S.N.C.F., comme « business plan », « freeway » et « freightway », « crash test », « tour operating », « supply chain », « assessment system », « benchmar­king », « teasing »... Autant de mots qui furent autant de batailles.

Là-dessus, la loi Toubon est arrivée, en 1994, avec son cortège d'insuffisances. Le Conseil constitutionnel a, en effet, émasculé le texte initial en annulant l'obligation générale d'utiliser les termes créés par les commissions ministérielles de terminologie, rebaptisées pour la circonstance. Dès lors l'anglomanie ambiante s'est développée, à laquelle n'échappa pas la S.N.C.F. Et les défenseurs de la langue française ne purent plus soigner une blessure de plus en plus béante.

Certes, il y eut encore des succès. Le C.L.E.C. a réussi à éviter que les trains de nuit entre Paris et les Alpes s'appellent, l'hiver, Night & Ski. Il a obtenu que la première classe de luxe des T.G.V méditernéens s'appelle Premium au lieu de Business Class. Il a obtenu que les lettres de rappel de facture destinées aux clients luxembourgeois de fret soient à nouveau faites en français, au lieu de l'anglais. Il a empêché que, lors d'une restructuration, on appelle certains services de la direction du Fret « business unit » et « customer service ». Il a pu donner son avis -et il a été écouté - pour la rédaction du manuel des règles de composition des noms de gare. Il est parvenu à empêcher qu'un sous-traitant enseigne un nouveau logiciel avec des supports rédigés en anglais. Il a participé à l'élaboration du décret n° 98-563 qui définit les règles d'utilisation des langues dans les transports internationaux. Il a obtenu que soit à peu près appliquée la circulaire du 6 mars 1999 sur l'emploi du français dans les systèmes d'information et de communication des administrations et établissements publics de l'État. Il a évité que se propagent les termes anglais utilisés dans la note d'orientation sur l'usage d'internet.

Mais aujourd'hui, le C.L.E.C. sent bien sa faiblesse. D'autant que des logiques nouvelles s'installent inexorablement l'Union internationale des chemins de fer, faute de moyens, en est réduite à ne plus traduire tous ses travaux dans ses trois langues de travail (français, allemand, anglais) ; les chemins de fer, confrontés à de nouvelles obligations économiques, font appel à des consultants qui, émanant souvent de sociétés américaines comme Mercer, Gemini Consulting ou Hay Management, travaillent en anglais ; les systèmes informatiques sont de plus en plus souvent conçus à l'échelle de l'Europe, et cette échelle-là s'écrit, hélas ! en anglais... Et l'on sent bien qu'il n'y a plus qu'une volonté politique pour défendre la langue française. Mais il n'y a pas de volonté politique et, dans ces conditions, le C.L.E.C. se demande parfois pourquoi il il s'obstine dans son combat.

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