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Un minou robot pour mamie
Un minou robot pour mamie (Jacques Dufresne)

Revue Le partenaire
Créée en 1992, la revue le partenaire est devenue au Québec une voix importante pour les personnes utilisatrices de services en santé mentale et pour tous les acteurs concernés par la réadaptation psychosociale, le rétablissement et la problématique de la santé mentale. Ses éditoriaux, ses articles, ses dossiers proposent une information à la fine pointe des connaissances dans le champ de la réadaptation psychosociale. Ils contribuent à enrichir la pratique dans ce domaine et à stimuler le débat entre ses membres.
Destination El Paradiso
El Paradiso n’est pas une maison de retraite comme les autres. Située dans une île enchanteresse qui est réservée à son usage, elle accueille des pensionnaires bien particuliers. Ce sont, par un aspect ou l’autre de leur vie, par ailleurs tout à fait honorable, des originaux, des excentriques, habités par une douce folie, qui n’a sans doute d’égal que la simplicité de leur bonheur. C’est une galerie de personnages un peu fantasques que nous fait rencontrer cet ouvrage tout empreint de tendresse, d’humour et d’humanité. Voici donc les premiers douze membres de ce club très spécial: Perry Bedbrook, Guy Joussemet, Édouard Lachapelle, Andrée Laliberté, Céline Lamontagne, Guy Mercier, Avrum Morrow, Lorraine Palardy, Antoine Poirier, Michel Pouliot, Charles Renaud, Peter Rochester.
Le Guérisseur blessé
Le Guérisseur blessé de Jean Monbourquette est paru au moment où l’humanité entière, devant la catastrophe d’Haïti, s’est sentie blessée et a désiré contribuer de toutes sortes de façons à guérir les victimes de ce grand malheur. Bénéfique coïncidence, occasion pour l’ensemble des soignants du corps et de l’âme de s’alimenter à une source remarquable. Dans ce livre qui fut précédé de plusieurs autres traitant des domaines de la psychologie et du développement personnel , l’auteur pose une question essentielle à tous ceux qui veulent soigner et guérir : « Que se cache-t-il derrière cette motivation intime à vouloir prendre soin d’autrui? Se pourrait-il que la majorité de ceux et celles qui sont naturellement attirés par la formation de soignants espèrent d’abord y trouver des solutions à leurs propres problèmes et guérir leurs propres blessures? » Une question qui ne s’adresse évidemment pas à ceux qui doivent pratiquer une médecine de guerre dans des situations d’urgence!
Mémoire et cerveau
Dans ce numéro de La Recherche, on se limite à étudier la mémoire dans la direction indiquée par le psychologue torontois Endel Tulving, reconnu en en ce moment comme l'un des grands maîtres dans ce domaine. Cela confère au numéro un très haut degré de cohérence qui en facilite la lecture. Culving est à l'origine de la distinction désormais universellement admise entre la « mémoire épisodique » portant sur des événements vécus et la « mémoire sémantique » portant sur des concepts, des connaissances abstraites. C'est la première mémoire que je mets en œuvre quand je m'efforce d'associer des mots à un événement passé, un voyage par exemple; je m'en remets à la seconde quand je m'efforce d'associer des mots automatiquement les uns aux autres, abstraction faite de tout événement vécu auquel ces mots pourraient se rapporter. Au cours de la décennie 1960, Tulving a constaté que les résultats obtenus grâce au premier exercice étaient beaucoup moins bons que ceux obtenus par le second exercice, ce qui l'a incité à faire l'hypothèse qu'il existe deux mémoires distinctes.
Spécial Mémoire
Dans ce numéro de La Recherche, on se limite à étudier la mémoire dans la direction indiquée par le psychologue torontois Endel Tulving, reconnu en en ce moment comme l'un des grands maîtres dans ce domaine. Cela confère au numéro un très haut degré de cohérence qui en facilite la lecture. Culving est à l'origine de la distinction désormais universellement admise entre la « mémoire épisodique » portant sur des événements vécus et la « mémoire sémantique » portant sur des concepts, des connaissances abstraites. C'est la première mémoire que je mets en œuvre quand je m'efforce d'associer des mots à un événement passé, un voyage par exemple; je m'en remets à la seconde quand je m'efforce d'associer des mots automatiquement les uns aux autres, abstraction faite de tout événement vécu auquel ces mots pourraient se rapporter. Au cours de la décennie 1960, Tulving a constaté que les résultats obtenus grâce au premier exercice étaient beaucoup moins bons que ceux obtenus par le second exercice, ce qui l'a incité à faire l'hypothèse qu'il existe deux mémoires distinctes.
L'itinérance au Québec
La personne en situation d’itinérance est celle : […] qui n’a pas d’adresse fixe, de logement stable, sécuritaire et salubre, à très faible revenu, avec une accessibilité discriminatoire à son égard de la part des services, avec des problèmes de santé physique, de santé mentale, de toxicomanie, de violence familiale ou de désorganisation sociale et dépourvue de groupe d’appartenance stable. Cette définition met en évidence la complexité du phénomène et l’importance de l’aspect multifactoriel des éléments déclencheurs tels que la précarité résidentielle et financière, les ruptures sociales, l’accumulation de problèmes divers (santé mentale, santé physique, toxicomanie, etc.). L’itinérance n’est pas un phénomène dont les éléments forment un ensemble rigide et homogène et elle ne se limite pas exclusivement au passage à la rue.L’itinérance est un phénomène dynamique dont les processus d’exclusion, de marginalisation et de désaffiliation en constituent le coeur.
L’habitation comme vecteur de lien social
Evelyne Baillergeau et Paul Morin (2008). L’habitation comme vecteur de lien social, Québec, Collection Problèmes sociaux et intervention, PUQ, 301 p. Quel est le rôle de l’habitation dans la constitution d’un vivre ensemble entre les habitants d’un immeuble, d’un ensemble d’habitations ou même d’un quartier ? Quelles sont les répercussions des conditions de logement sur l’organisation de la vie quotidienne des individus et des familles et sur leurs modes d’inscription dans la société ? En s’intéressant à certaines populations socialement disqualifi ées, soit les personnes ayant des problèmes de santé mentale et les résidents en habitation à loyer modique, les auteurs étudient le logement non seulement comme l’un des déterminants de la santé et du bien-être, mais également comme un lieu d’intervention majeur dans le domaine des services sociaux. De la désinstitutionnalisation à l’intégration, des maisons de chambres aux HLM, ils décrivent et analysent des expériences ayant pour objectif le développement individuel et collectif des habitants et les comparent ensuite à d’autres réalisées au Canada, aux Pays-Bas et en Italie. Pour en savoir plus : http://www.puq.ca
Revue Développement social
On a longtemps sous-estimé l'importance du lien entre les problèmes environnementaux et la vie sociale. Nous savons tous pourtant que lorsque le ciel est assombri par le smog, on hésite à sortir de chez soi pour causer avec un voisin. Pour tous les collaborateurs de ce numéro consacré au développement durable, le côté vert du social et le côté social du vert vont de soi. La vue d'ensemble du Québec qui s'en dégage est enthousiasmante. Les Québécois semblent avoir compris qu'on peut redonner vie à la société en assainissant l'environnement et que les défits à relever pour assurer le développement durable sont des occasions à saisir pour resserrer le tissu social.
La réforme des tutelles: ombres et lumières.
En marge de la nouvelle loi française sur la protection des majeurs, qui doit entrer en vigueur en janvier 2009. La France comptera un million de personnes " protégées " en 2010. Le dispositif actuel de protection juridique n'est plus adapté. Ce " livre blanc " est un plaidoyer pour une mise en œuvre urgente de sa réforme. Les enjeux sont clairs lutter contre les abus, placer la protection de la personne, non plus seulement son patrimoine, au cœur des préoccupations, associer les familles en les informant mieux, protéger tout en respectant la dignité et la liberté individuelle. Le but est pluriel. Tout d'abord, rendre compte des difficultés, des souffrances côtoyées, assumer les ombres, et faire la lumière sur la pratique judiciaire, familiale et sociale ; Ensuite, expliquer le régime juridique de la protection des majeurs, et décrire le fonctionnement, les bienfaits, et les insuffisances ; Enfin, poser les jalons d'une réforme annoncée comme inéluctable et imminente mais systématiquement renvoyée à plus tard. Les auteurs: Michel Bauer, directeur général de l'Udaf du Finistère, l'une des plus grandes associations tutélaires de France, anime des groupes de réflexion sur le sujet et œuvre avec le laboratoire spécialisé de la faculté de droit de Brest. II est l'auteur d'ouvrages sur les tutelles et les curatelles. Thierry Fossier est président de chambre à la cour d'appel de Douai et professeur à l'Université d'Auvergne, où il codirige un master et l'IEJ. II est fondateur de l'Association nationale des juges d'instance, qui regroupe la grande majorité des juges des tutelles. II est l'auteur de nombreuses publications en droit de la famille et en droit des tutelles. Laurence Pécaut-Rivolier, docteur en droit, est magistrate à la Cour de cassation. Juge des tutelles pendant seize ans elle préside l'Association nationale des juges d'instance depuis plusieurs années.
Puzzle, Journal d'une Alzheimer
Ce livre, paru aux Éditions Josette de Lyon en 2004, a fait l'objet d'une émission d'une heure à Radio-France le 21 février 2008. Il est cité dans le préambule du rapport de la COMMISSION NATIONALE CHARGÉE DE L’ÉLABORATION DE PROPOSITIONS POUR UN PLAN NATIONAL CONCERNANT LA MALADIE D’ALZHEIMER ET LES MALADIES APPARENTÉES. Ce rapport fut remis au Président de la République française le 8 novembre 2007. «Je crois savoir où partent mes pensées perdues : elles s’évadent dans mon coeur…. Au fur et à mesure que mon cerveau se vide, mon coeur doit se remplir car j’éprouve des sensations et des sentiments extrêmement forts… Je voudrais pouvoir vivre le présent sans être un fardeau pour les autres et que l’on continue à me traiter avec amour et respect, comme toute personne humaine qui a des émotions et des pensées,même lorsque je semble «ailleurs »1à.
Les inattendus (Stock)
Premier roman d'Eva Kristina Mindszenti, jeune artiste peintre née d’un père hongrois et d’une mère norvégienne, qui vit à Toulouse. Le cadre de l'oeuvre: un hôpital pour enfants, en Hongrie. «Là gisent les "inattendus", des enfants monstrueux, frappés de maladies neurologiques et de malformations héritées de Tchernobyl, que leurs parents ont abandonné. Ils gémissent, bavent, sourient, râlent, mordent parfois. Il y a des visages "toujours en souffrance" comme celui de Ferenc évoquant "le Christ à la descente de la croix". Tout est figé, tout semble mort. Pourtant, la vie palpite et la beauté s’est cachée aussi au tréfonds de ces corps suppliciés. » (Christian Authier, Eva Kristina Mindszenti : une voix inattendue, «L'Opinion indépendante», n° 2754, 12 janvier 2007)
En toute sécurité
Cet ouvrage est l'adaptation québécoise de Safe and secure, publié par les fondateurs du réseau PLAN (Planned Lifetime Advocacy Network) et diffusé au Québec par un groupe affilié à PLAN, Réseaux pour l'avenir. Il s'agit d'un guide pratique dont le but est d'aider à les familles à planifier l'avenir "en toute sécurité" des membres de leur famille aux prises avec un handicap.
"Il faut rester dans la parade ! " - Comment vieillir sans devenir vieux
Auteur : Catherine Bergman. Éditeur : Flammarion Québec, 2005. "Dominique Michel, Jacques Languirand, Jean Béliveau, Antonine Maillet, Jean Coutu, Gilles Vigneault, Hubert Reeves, ils sont une trentaine de personnalités qui, ayant dépassé l’âge de la retraite, sont restés actives et passionnées. Ils n’ont pas la prétention de donner des conseils ni de s’ériger en modèles, mais leur parcours exceptionnel donne à leur parole une valeur inestimable. Journaliste d’expérience, Catherine Bergman les interroge sur le plaisir qu’ils trouvent dans ce qu’ils font, leur militantisme et leur vision de la société ; sur leur corps, ses douleurs et la façon dont ils en prennent soin ; sur leur rapport aux autres générations, ce qu’ils ont encore à apprendre et l’héritage qu’ils souhaitent transmettre ; sur leur perception du temps et leur peur de la mort. Son livre est un petit bijou, une réflexion inspirante sur la vieillesse et l’art d’être vivant." (présentation de l'éditeur).
Le temps des rites. Handicaps et handicapés
Auteur : Jean-François Gomez. Édition : Presses de l'Université Laval, 2005, 192 p. "Il est temps aujourd’hui de modifier profondément notre regard sur les personnes handicapées et sur les « exclus » de toute catégorie, qu’ils soient ou non dans les institutions. Pour l’auteur du Temps des rites, l’occultation du symbolique, ou son déplacement en une société de « signes » qui perd peu à peu toutes formes de socialités repérable et transmissible produit des dégâts incalculables, que les travailleurs sociaux, plus que quiconque doivent intégrer dans leur réflexion. Il faudrait s’intéresser aux rituels et aux « rites de passage » qui accompagnaient jusque là les parcours de toute vie humaine, débusquer l’existence d’une culture qui s’exprime et s’insinue dans toutes les étapes de vie. On découvrira avec étonnement que ces modèles anciens qui ont de plus en plus de la peine à se frayer une voie dans les méandres d’une société technicienne sont d’une terrible efficacité."
Dépendances et protection (2006)
Textes des conférences du colloque tenu le 27 janvier 2006 à l'Île Charron. Formation permanente du Barreau du Québec. Volume 238. 2006
Document associé
La proposition Philia. Réflexions sur la maladie mentale et la déficience intellectuelle
Dossier : Philia
Dernière modification :
05 / 07 / 2006
Jacques Dufresne

Texte
Il y a deux grands mystères dans la condition humaine, disait le psychiatre Karl Stern, la mort et la maladie mentale. J'ai vécu très près de ces mystères au cours des derniers jours. À cause de cette conférence, que je préparais mentalement, à cause aussi de mon engagement dans le projet Philia, j'ai eu maintes occasions de réfléchir sur le sort des malades mentaux et sur les personnes souffrant de déficiences intellectuelles. Ce matin, j'assistais aux funérailles de mon unique frère.

La mort a été chantée par les poètes, qui l'ont adoucie à nos yeux.
    Où sont des morts les phrases familières
    L'art personnel, les âmes singulières...
    L'argile rouge a bu la blanche espèce
    Le don de vivre a passé dans les fleurs.
Je ne sais pourquoi, ces vers de Valéry exercent sur moi un pouvoir magique. Les êtres chers disparus revivent à mes yeux à travers les fleurs sauvages du printemps.

Le second mystère, la maladie mentale, da pas eu droit aux mêmes faveurs de la part des poètes. Les philosophes aussi l'ont négligée, eux qui pourtant ont écrit de si belles choses sur la mort et sur l'immortalité. « Philosopher c'est apprendre à mourir » (Platon). « Il faut vivre chaque instant comme s'il était le dernier » (Marc-Aurèle).

Les romanciers et les dramaturges ont eu plus d'égards à son endroit. Don Quichotte est un fou sublime. Un loco ! Cervantès ayant soin de bien distinguer la locura de la tonteria. Dostoïevski a donné un statut littéraire à l'idiot. C'est à Shakespeare d'abord que l'on doit d'avoir compris et souligné le lien mystérieux entre la folie et la vérité. Dans son théâtre, comme dans celui de nombreux auteurs de son époque, comme sans doute aussi dans la société de son temps, ce sont les fous qui disent la vérité.

Pourquoi n'en serait-il pas ainsi à notre époque? Une chose est certaine, quand on dit la vérité crûment, sans ménagement, on prend toujours le risque de passer pour fou.

Deux expériences récentes m'ont aidé à mieux comprendre le sens de la maladie mentale en elle-même, pour la communauté et pour les personnes, parents ou professionnels, qui sont en rapport étroit avec les personnes souffrant de maladie mentale ou de déficience intellectuelle.

Je déjeunais récemment dans un restaurant élégant du centre-ville avec un ami souffrant d'un handicap physique dont les séquelles, quoique légères, peuvent susciter des comportements irrespectueux. À trois reprises, la serveuse lui a demandé, avec une insistance grossière, s’il avait terminé sa soupe. Elle aurait dû au contraire le remercier d'avoir fait les choses de façon impeccable, en dépit d'un problème de coordination manifeste.

La semaine suivante, je me retrouve avec le même ami, rue Saint-Zotique, dans un café d'apparence extérieure minable. À une chaleur humaine immédiatement perceptible, à l'odeur inimitable de l'excellent café italien, à je ne sais quelle joie qui se lisait sur tous les visages, nous avions flairé le bon endroit. Et c'était le bon endroit. À notre égard - nous étions des étrangers dans ce restaurant de quartier sinon de famille -, la patronne a eu immédiatement, spontanément, la bonne attitude. Elle a été naturelle, vraie, tout simplement. Comme pour nous rassurer sur l'humanité de son établissement, elle nous a tout de suite appris qu'elle était derrière son comptoir depuis plus de trente ans.

Juste devant ce comptoir, appuyé plutôt qu'assis sur un tabouret, se tenait un homme âgé, au regard perdu et pourtant confiant, abandonné. J'ai tout de suite pensé qu'il était atteint de la maladie d'Alzeimer. Pour la patronne, il était un client comme les autres, une présence attachante, qui contribuait à la chaleur, à l'humanité du lieu. Et derrière lui, un autre client, immobile, semblait plongé dans son journal depuis des temps immémoriaux. C'était peut-être un professeur à la retraite depuis quelques jours. Cet homme s'est levé tout à coup, s'est approché du comptoir pour payer son addition, puis il s'est tourné vers le monsieur du tabouret, et tout en le regardant de la façon la plus aimable et la plus naturelle qui soit, a serré ses épaules de ses deux mains, dans un geste affectueux et énergique... Comme j'aimerais pouvoir décrire ce geste parfaitement ! Mais il vaut peut-être mieux qu'on le devine.

La journée du vieil homme au tabouret venait de prendre un sens. Si vous aviez vu son regard !

Je n'aurai jamais épuisé la leçon qui se dégage de la comparaison entre les deux établissements. Le premier ressemblait à une usine, les clients étant assis sans le savoir à une chaîne de montage. Le second me rappelait tous ces lieux conviviaux qui nous paraissent sacrés à force d'être modestement, simplement, naturellement humains. Le cours du temps y étant suspendu, je me croyais dans une oasis d'éternité. Tandis que dans le premier restaurant, le même cours du temps était accéléré.

Il faut du temps pour être humain, pour que le sens puisse pénétrer dans nos vies personnelles et dans celle de nos communautés. Et il faut encore un peu plus de temps que d'habitude pour traiter un vieil homme atteint de la maladie d'Alzeimer avec tous les égards qui lui sont dus.

Après cette entrée en matière qui m'a été imposée par les circonstances, et sans doute aussi par votre accueil bienveillant, je vous invite à réfléchir avec moi sur des idées qui me sont venues en pensant à la vertu et au sens moral étonnants qui nous sont offerts en exemple par tant de parents, d'amis qui s’occupent des personnes souffrant de déficience intellectuelle ou de maladie mentale...

Il est parfois difficile de dire ce qui, de la science ou de la technique, des mots ou de l'action, est apparu en premier. Le levier était sûrement connu et utilisé bien avant qu'Archimède ne découvre les lois de la physique qui en expliquaient l'efficacité. La bombe atomique, par contre, est un exemple où la théorie a précédé l'action. La même question se pose dans le monde moral. Les idées viennent parfois en premier, mais il arrive aussi qu'elles apparaissent longtemps après qu'un changement de mentalité et de comportement ait eu lieu. Ainsi cette idée selon laquelle les animaux n'étaient que des machines animées - un concept philosophique apparu au XVIIe siècle - a servi à légitimer le sort cruel fait ensuite aux animaux dans les laboratoires ou dans les fermes usines. Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, l'attitude face aux animaux a changé, sans qu'aucune théorie philosophique sur l'animal ne soit venue déloger les théories réductionnistes et mécanistes encore enseignées dans les écoles. C'est là un exemple dune pratique ayant précédé la théorie.

Le fait de prendre soin de personnes avec un handicap grave en est un autre exemple. Il n'existe pas en ce moment de conception de l'homme généralement admise qui soit à la hauteur de ces comportements. Le XXe siècle a sûrement été témoin des crimes contre l'humanité les plus atroces de toute l'histoire, mais il a aussi élevé nombre de vertus morales à des niveaux jamais atteints jusque-là. rune de ces vertus est le respect témoigné envers les personnes avec un handicap. Le niveau d'engagement moral exigé d'une famille moyenne qui accepte d'assumer les soins à l'un de ses membres ayant un handicap sérieux, et qui le fait de façon continue, jour après jour, d'heure en heure, est sans précédent dans l'histoire de l'humanité. C'est un sommet moral, un Everest spirituel. Mais cette comparaison même est fausse : en effet, une fois que les grimpeurs ont atteint le sommet du mont Everest, ils se hâtent de redescendre pour retrouver plus d'oxygène. Tandis que les gens qui prennent soin d'un membre de leur famille habitent leur sommet moral, jour après jour, et y demeurent longtemps après que l'oxygène dont ils ont besoin pour leur bien-être spirituel se soit épuisé.

L'observateur distant est pris de vertige en pensant à ce qui est demandé à ces gens. Comment leur procurer l'oxygène dont ils ont besoin, en proportion avec ce que leur engagement moral exige? De quelle conception de l'homme et de la vie tous les Latimers du monde auraient-ils besoin pour assumer leurs responsabilités sans mettre leur intégrité personnelle en péril?

je ne pourrai répondre à ces questions qu'au prix d'un détour par l'histoire et la philosophie qui paraîtra peut-être long et hors de propos à certains. C'est pourquoi j'aurai soin d'illustrer mes propos les plus théoriques par quelques-unes de ces belles anecdotes qui rendent les choses difficiles plus intelligibles en les rendant sensibles.

L'histoire et la philosophie nous donnent quelques indices pour nous aider à comprendre la lente transformation qui s'est opérée dans la dernière moitié du XXe siècle, et nous a amenés à accueillir dans nos maisons et communautés des personnes qui, auparavant, étaient abandonnées dans des institutions publiques, à un sort pire que celui des animaux.

Le christianisme n'est pas étranger à la haute moralité que je viens d'évoquer, comme le prouve aujourd'hui l'exemple de jean Vanier. Quels qu'aient pu être ses écarts de conduite, la religion du Dieu souffrant ne s'est jamais complètement désintéressée du sort des plus souffrants parmi les hommes. La haute moralité actuelle a toutefois des racines modernes qui me paraissent plus déterminantes que ses racines gréco-judéo-chrétiennes. Ces racines modernes sont à première vue opposées : les unes appartiennent en effet à la sphère de l'idéal, les autres à celle d'un réel réduit à ses éléments les plus matériels.

L'idéalisme moderne

Neuf jours avant sa mort, Emmanuel Kant reçut la visite de son médecin. Âgé, malade, presque aveugle, il se leva de son fauteuil et resta debout, tremblant de faiblesse, murmurant des mots inaudibles. Son fidèle compagnon finit par se rendre compte qu'il ne se rassiérait pas avant que son visiteur n'eût pris un siège ; ce qu'il fit ; alors Kant permit qu'on l'aidât à regagner son fauteuil, et quand il, eut repris quelque force il dit : « Das Gefühl für Humanität hat mich noch nicht verlassen » (Le sens de l'humanité ne m'a pas encore abandonné).

Ce respect de la dignité est une des idées clés de l'idéalisme kantien alors que les objets ne sont que le moyen pour arriver à une fin, les êtres humains sans exception sont une fin en eux-mêmes, et en tant que tels ils méritent un respect inconditionnel. Notez bien : tous les êtres humains sans exception. Kant dit un jour que lorsqu'un de ses serviteurs posait un acte hautement moral, il s'inclinait intérieurement pour lui rendre hommage, et l'aurait même fait ouvertement si la coutume de l'époque le lui avait permis ; sa philosophie remettait en question le racisme et toute autre forme de discrimination.

Le matérialisme moderne

La seconde source, le matérialisme moderne, est la philosophie selon laquelle tout peut être expliqué par des lois semblables à celles qui régissent la matière. Elle entraîna le déclin de cette raison qui, jusque-là avait servi de critère pour distinguer les humains normaux des animaux... et des humains assimilés à eux. La science moderne matérialiste, suivant l'exemple de Darwin, a mis l'accent sur la continuité entre l'humain et l'animal et cherché les causes matérielles pouvant expliquer les traits spécifiques aux espèces, comme la pensée rationnelle. Le handicap a cessé d'être une cause d'exclusion, il est devenu un problème pour lequel il est possible de trouver des solutions matérielles.

Nous sommes tous influencés par ces courants de pensée. Nous sommes idéalistes parce que nous considérons l'être humain comme une fin en soi, digne de respect inconditionnel quelles que soient ses infirmités. Nous sommes aussi matérialistes, parce que nous ne croyons pas que la raison soit l'unique et seul critère qui puisse déterminer ce que signifie être humain. Ceux qui prennent soin de personnes avec un handicap subissent les mêmes influences que nous tous, avec cette différence qu'ils doivent s'accommoder, jour après jour, des conséquences de ces principes.

Cette combinaison d'individualisme et de matérialisme crée des demandes morales importantes, mais ne nous donne malheureusement pas les ressources intérieures requises pour y répondre. L'idéal kantien - le sens du devoir envers l'humanité -nous dit quel est l'objectif, mais ne nous procure pas l'oxygène nécessaire pour survivre à l'altitude à laquelle il nous appelle à vivre. Il ne nous reste qu'à nous reposer sur notre pouvoir de détermination, et à courir le risque d'aller au-delà de nos capacités. Quant au matérialisme, non seulement n'est-il ici d'aucune aide, mais en plus il nous coupe des sources spirituelles authentiques.

La difficulté majeure de la conception philosophique moderne que je viens d'ébaucher est qu'elle crée deux solitudes. D'un côté, le monde matériel, régi par les lois de la matière aveugles et mécaniques, les choses de la science. De l'autre côté, le domaine humain, régi par des idéaux et des exigences morales incompatibles avec la causalité mécanique qui régit la matière. Initialement ces deux courants se trouvaient (illusoirement) réunis par la promesse faite par la science et le progrès technique d'enrayer la mort et la souffrance, et par l'idée que les sociétés et les individus mêmes pouvaient être reprogrammés, comme des machines, en vue de créer un monde meilleur. Même si au cours du dernier siècle on da reculé devant aucun effort pour atteindre ce but, la mort et la souffrance dont pas disparu, elles semblent toujours inséparables de la condition humaine. Mais la pensée moderne s'est éloignée des sources d'inspiration qui lui sont nécessaires pour faire face quotidiennement à ces maux ; elle a tenté de les remplacer sources par un mélange d'impératifs moraux, combinés avec des solutions mécaniques et institutionnelles - programmes, primes et services qui, dans le meilleur des cas, ne répondent qu'au remplacement unidimensionnel de l'inspiration : la motivation.

Le soutien et les ressources matériels, tout comme les programmes et les services, sont évidemment importants ; mais ils ne sont pas une réponse en soi. La société et les individus ne sont pas des machines qui réagissent passivement aux interventions sociales. Et une action inspiratrice est indispensable à ces interventions. L'inspiration est une source d'énergie basée sur l'unité spirituelle palpable de l'univers et de l'âme ; elle implique des actions basées sur la vision de l'ordre des choses qui leur insuffle leur sens. La motivation est la réduction de l'inspiration en deux éléments séparés et distincts : les causes matérielles et les impératifs moraux. Elle part du principe d'un comportement qui est le résultat des réponses mécaniques aux stimuli ou bien de la conviction rationnelle de ce qu'est notre devoir. La différence entre l'inspiration et la motivation est la même que la différence entre un homme qui fait de la randonnée en montagne pour son plaisir et celui qui marche d'un pas prudent autour de chez lui pour obéir à son médecin qui lui a prescrit de l'exercice et du grand air. Nous avons soif d'inspiration, mais la philosophie ambiante ne nous propose que la motivation.

L'être humain selon Simone Weil

Seul pouvait trouver un remède à un tel mal un philosophe qui, d'une part comprenait la modernité et qui, d'autre part, avait épousé le sort des plus malheureux parmi les modernes. Le philosophe qui remplit le mieux ces deux conditions c'est, à mes yeux, Simone Weil. C'est en lisant ses plus belles pages que pour ma part j'ai trouvé l'oxygène dont j'ai eu besoin dans les moments de ma vie où la souffrance et le contact avec la souffrance m'ont rapproché des sommets de la vie morale.

Pour Simone Weil cette matière soumise aux lois inflexibles qui sont l'objet de la science est traversée par quelque chose d'analogue au sourire d'un être aimé. Le Bien y règne sur la Nécessité par la persuasion. C'est, précise-t-elle, ce que l'expérience de la beauté du monde peut apprendre au plus humble d'entre nous.

L'être humain, dans son psychisme comme dans son corps, est soumis aux mêmes lois - en ce sens Simone Weil est proche des matérialistes modernes. Et de même que les ouragans n'enlèvent rien à la beauté du monde, de même ce mauvais temps intérieur qu'on appelle maladie mentale n'enlève rien ni à la dignité de l'homme, ni à sa beauté. Car cette dignité et cette beauté dont pas leur fondement dans l'intelligence, mais dans quelque chose de plus divin et de plus universel.

Nous retrouvons ici, sous une forme compatible avec la science moderne, l'analogie entre le microcosme et le macrocosme qui allait presque de soi dans les visions prémodernes du monde.

Mais quel est donc ce quelque chose de plus divin et de plus universel que la raison, que l'on peut découvrir dans l'expérience de la beauté du monde, dans le grand art dans la compassion, qui, pour Simone Weil, n'est rien d'autre que l'expérience de la beauté humaine?

Quand Simone Weil annonça son intention de travailler comme ouvrière agricole, certains de ses amis la mirent en garde contre le risque qu'elle courait d'hypothéquer à jamais son génie en se livrant à des activités physiques qui dépassaient ses forces. Il faut ici préciser que Simone Weil était de santé fragile, qu'elle était depuis longtemps victime de migraines qui paraissaient incurables. Sa réponse à ceux qui se faisaient du souci pour l'avenir de son génie est l'un des passages les plus révélateurs de son oeuvre : « Je m'attends aussi à assister à l'extinction de ma propre intelligence par l'effet de la fatigue. Néanmoins je regarde le travail physique comme une purification - mais une purification de l'ordre de la souffrance et de l'humiliation. On trouve aussi, tout au fond, des instants de joie profonde, nourricière, sans équivalent ailleurs. Pourquoi attacherais-je beaucoup de prix à cette partie de mon intelligence dont n'importe qui, absolument n'importe qui, au moyen de fouets et de chaînes, ou de murs et de verrous, ou d'un morceau de papier couvert de certains signes, peut me priver? Si cette partie est le tout, alors je suis tout entière chose de valeur presque nulle, et pourquoi me ménager ? S'il y a autre chose d'irréductible, c'est cela qui a un prix infini. Je vais voir s'il en est ainsi. » (Simone Pétrement, La vie de Simone Weil. Fayard, Paris, 1973, Vol. 2, p. 346)

Simone Weil aura par diverses expériences la preuve qu'il en est ainsi. Elle pourra donc écrire ces lignes où je vois l'ébauche de la vision de l'homme et du monde dont nous aurions besoin pour respirer à l'aise sur les sommets où les idéaux modernes nous ont conduits. « Il y a depuis la petite enfance jusqu'à la tombe, au fond du cœur de tout être humain, quelque chose qui, malgré toute l'expérience des crimes commis, soufferts et observés, s'attend invinciblement à ce qu'on lui fasse du bien et non du mal. C'est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain. » (Simone Weil, Écrits de Londres et dernières lettres. Paris, Gallimard, 1957, p. 13)

Les êtres humains les plus endurcis dans le vice, dans la vertu ou dans la déraison - ici toutes ces limites se ressemblent - sont comme l'univers un enchaînement de phénomènes traversés par quelque chose d'analogue au sourire d'un être aimé. Vus sous cet angle, les grands marginaux sont aussi les images les plus parfaites de l'univers. Si nous savions les regarder c'est à travers eux d'abord que le sourire analogue à celui de l'être aimé se révélerait à nous ; c'est donc à travers eux que l'univers prendrait un sens à nos yeux. Comme j'aimerais être compris ! Les plus malheureux sont les microcosmes présentant le plus haut degré d'analogie avec le macrocosme moderne.

Avec ce « quelque chose », Weil réintroduit l'idée de l'âme comme caractéristique déterminante de l'humanité, à la place de la raison. Deux conséquences majeures en résultent : l'inclusion dans la définition de l'humain de ceux qui en étaient auparavant exclus, et la possibilité pour tout homme de vivre en communion avec l'univers, ce qui lui fournira l'oxygène spirituel dont il a besoin, et qui lui est indispensable pour vivre sur les sommets moraux.

Comment cette vision peut-elle guider et inspirer notre action? J'ai tenté de rassembler quelques réponses à cette question dans ce que j'appellerai la « proposition Philia ».

De la Paideia à la Philia

La « proposition Philia » vous rappelle peut-être la « proposition Paideia ». Paideia est le mot grec désignant ce que nous nommerions aujourd'hui « éducation » bien que, selon le philologue Jaeger, il faille donner à ce mot un sens beaucoup plus large, contenant une invitation à tout mettre en oeuvre pour que l'apprentissage se fasse dans un environnement social et symbolique, qui soit en harmonie avec le contenu théorique de l'enseignement. On peut imaginer Platon par exemple, exposant sa conception de l'harmonie à ses disciples devant ce Parthénon où s'incarne, dans la pierre, la même harmonie. Paideia est aussi le nom du programme innovateur, lancé au début des années '80 par Mortimer Adler, Jacques Barzun, Richard Hunt et quelques autres, inspirés par cette conception ainsi que par l'approche des Grands Livres pour les études classiques et libérales. Ce programme a pour objectif le renouvellement fondamental de l'éducation élémentaire et secondaire en Amérique, fondé sur l'étude des grands textes de l'humanité et la méthode socratique, la maïeutique. Ce que fait Paideia pour l'intelligence du citoyen, Philia le fait pour l'âme. Philia est le mot grec pour « amitié », mot utilisé par Aristote pour nommer la solidarité entre les citoyens d'une ville : la réserve de chaleur humaine, d'affection, d'enthousiasme et de générosité qui nourrit et stimule la camaraderie qui se trouve au coeur de la vie civique. (Mortimer J. Adler, Paideia Problems and Possibilities, Macmillan Publishing Company, New York 1093, p. 8)

Nourrir est ici le mot approprié. La Philia est à la communauté ce que l'humus, la partie vivante du sol est à la culture. Elle nourrit l'âme et permet aux citoyens de remplir leurs obligations avec joie. La proposition Philia est inspiration. Paideia nous enseigne notre tâche de citoyens, nous aide à déterminer nos objectifs, nous procure les techniques et informations pour les accomplir. Philia apporte l'inspiration qui nous aidera à atteindre nos objectifs, à utiliser les techniques de la bonne façon, et de ce fait évitera le stress autodestructeur résultant dune action accomplie uniquement par devoir.

Voici quelques principes qui se situent au coeur de la proposition Philia :

- le faire subordonné à l'être ;
- l'esthétique, complément de l'éthique ;
- la résilience, levier du changement.

Être et faire

Les communautés sont à l'être ce que les associations sont au faire. Les associations sont des groupes créés dans le but d'exécuter des activités spécifiques dans un temps déterminé ; il en existe de toutes sortes dans une société : des organismes d'affaires aux clubs de randonnée. D'une toute autre façon, les communautés regroupent des gens qui ont des racines semblables à la fois dans le temps et dans l'espace. C'est le lieu de l'être, mais c'est aussi un lieu qui peut servir de tremplin à la formation d'associations dont le but est de faire. C'est pourquoi l'âme trouve plus facilement sa place dans une communauté que dans une association, et c'est pourquoi également la communauté offre la possibilité d'une réelle intégration à long terme des personnes avec un handicap.

Esthétique et éthique

On pourrait consacrer un cours entier à ce second principe : l'esthétique devrait être le complément de l'éthique. J'utilise ici le mot « esthétique » à la fois au sens large : la relation avec le monde à travers les sens, et au sens plus restreint : les arts. L'écart entre l'éthique et l'esthétique est une caractéristique propre à l’Amérique du Nord. Quand nos ancêtres sont arrivés ici - d'Europe pour la plupart - ils apportaient avec eux leurs valeurs et leurs traditions - leur éthique - mais laissaient derrière eux le monde humain et physique - l'esthétique qui avait donné naissance à l'éthique et la soutenait : les rues et les villes, les églises et les fêtes qui s'étaient forgées à travers les siècles, les paysages des campagnes reflétant des façons de faire et des coutumes ancestrales. L'environnement nord-américain a pris forme trop rapidement pour que le long et sinueux processus d'évolution de l'esthétique puisse en arriver au même point que l'éthique. Cet écart peut être la raison de notre activisme, notre productivisme et notre puritanisme. Comme si des actes de volonté pouvaient remplacer la lente formation de communautés pour refléter leurs valeurs ; il peut aussi expliquer notre besoin de chartes de droits et notre besoin de motivation en l'absence d'inspiration.

Le lien entre esthétique et éthique apparaît clairement dans ces deux extraits de « Culture of Cities » de Lewis Mumford.

« Cette éducation quotidienne des sens est le travail de base de toute forme d'éducation plus élevée : quand elle est présente dans la vie quotidienne, une communauté peut s'épargner la préparation de cours d'appréciation de l'art. Quand au contraire il y a un manque, les processus les plus rationnels et significatifs sont sous-alimentés : la maîtrise verbale ne peut compenser une malnutrition des sens. »

« La vie prospère dans cette dilatation des sens : sans elle, le pouls est plus lent, les muscles manquent de tonicité, le maintien manque d'assurance, l'œil et le toucher ont moins de discernement, peut-être même la volonté de vivre est-elle vaincue. Affamer l'œil, l'oreille, la peau, peut exposer à la mort tout autant que le refus de nourriture à un estomac... (À la Renaissance), la ville elle-même était une oeuvre d'art omniprésente ; et les vêtements même des citoyens lors des jours de fête étaient comme un jardin de fleurs en pleine floraison. » (Lewis Mumford, Culture of Cities, Harvest HB 187, Harcourt Brace Jovanovich Inc. New York, 1970, p. 51)

J'aime citer des lignes inspirées par la ville de Florence car elles illustrent bien comment un environnement culturel peut être source de vie pour l'être humain. Y a-t-il besoin d'insister ici sur la plus grande sensibilité des personnes avec un handicap face à leur environnement?

Résilience

On ne peut créer, planifier ou même tenter de reconstruire une ville comme Florence. Elle s'étend naturellement - comme un écosystème. Et c'est pourquoi on peut dire des villes comme Florence et des régions comme la Toscane qu'elles sont résilientes. Laissées à elles-mêmes elles évoluent, créent de nouveaux centres et réparent l'usure du temps sans perdre leur harmonie organique. On le voit bien dans le livre très bien illustré de Frances Mays sur la Toscane, qui démontre comment des lieux publics en Toscane sont une invitation et un soutien au sens communautaire, reflétant les valeurs de Philia.

La résilience c'est le rebondissement vers sa forme originale d'un écosystème, humain ou physique, individuel ou collectif, après un stress ou un choc. Ce concept est en relation étroite avec Philia par l'importance accordée à l'interrelation.

Aristote croyait que les êtres humains sont par nature des animaux politiques - zoon politikon -, indiquant par là que vivre en communauté est propre à leur nature. Thomas Hobbes, qui est l'inspirateur d'une certaine forme de libéralisme, était convaincu du contraire : l'homme est un loup pour l'homme -homo homini lupus, disait-il, après le poète latin Térence.

Choisir d'adopter la pensée d’Aristote plutôt que la perspective libérale a des conséquences importantes. L'ingénierie sociale correspond à une vision de la société en tant que machine passive, une collection artificielle d'individus. Pour Aristote, la société est une communauté vivante où vivent des animaux sociaux, ce qui exige ce que j'appellerais un « modèle naturel d'action sociale », un modèle inspiré par les principes hippocratiques, le premier étant « d'abord, ne pas nuire » : Primum non nocere ! Le changement social consiste à enlever les obstacles nuisant aux pouvoirs autoguérisseurs des communautés.

Cinq types d'action sociale découlent de ce modèle naturel
d'action sociale

- actions libératrices ;
- actions inhibitrices ;
- actions catalytiques ;
- actions inspiratrices et actions nourrissantes.

Actions libératrices

L'action que j'appelle libératrice consiste à libérer la sociabilité naturelle de l'homme, à enlever les obstacles à sa manifestation. Le souci de l'autre est en nous ; nous n'avons pas à le susciter de l'extérieur. Il suffit que nous enlevions les obstacles qui l'empêchent de se manifester.

Actions inhibitrices

Par action inhibitrice j'entends, par exemple, une action organisée visant à pénaliser financièrement les entreprises qui assument mal leurs responsabilités sociales. Il existe aux États-Unis des guides spécialisés pour les consommateurs, où les produits sont évalués en fonction de leur toxicité. Ce sont les compagnies qui sont évaluées dans d'autres guides en fonction de leur sens moral. L'un de ces guides, recommandé par l'économiste Lester Thurow, a pour titre Rating America's Corporate Conscience.

Actions catalytiques

Les actions catalytiques, que l'on pourrait aussi appeler homéopathiques, consistent en micro-actions faites avec un tel sens du « kairos » ou tellement au bon moment - encore un des principes hippocratiques - qu'elles ont un impact puissant.

Dans The Careless Society, John McKnight raconte que le département de planification de la ville de Chicago avait envoyé des observateurs dans un quartier difficile pour comprendre la raison de l'incessante congestion de la salle d'urgence de l'hôpital. Toutes les causes observées étaient de nature sociale : accidents de voiture, agressions, autres accidents, alcoolisme, problèmes liés à la drogue, et morsures de chiens. Aussitôt que l'information fut rendue publique, des initiatives communautaires virent le jour. Il apparut rapidement que le service de fourrière était inefficace et que quelque 300 chiens abandonnés erraient dans les rues. Des bandes d'adolescents se mirent au travail et après quelques jours les cas d'urgence liés aux morsures de chiens avaient diminué de 50%.

Actions inspiratrices et actions nourrissantes

J'appelle action inspiratrice celle qui met les gens en contact direct avec des oeuvres remplies de vie et de sens. La création d'un film comme L'homme qui plantait des arbresest un parfait exemple d'action inspiratrice. Il n'est pas inutile de rappeler une telle évidence dans un contexte où l'on a tendance à réduire les finalités aux objectifs. Les objectifs sont à la technique ce que les finalités sont à l'art. Or l'action sociale, pour être féconde, doit être un art. Et pour être capable d'un tel art, l'âme doit pouvoir se nourrir des grands chefs-d'oeuvre.

Le réel contact avec un grand chef-d'œuvre est une chose exceptionnelle. L'âme a aussi besoin d'être nourrie jour après jour, heure après heure. J'appelle action nourricière celle qui consiste à aménager le temps et l'espace, de façon à ce qu'il y ait place pour ces petits miracles de la vie quotidienne, sans lesquels l'existence n'est qu'une longue démission devant la vie, interrompue par les actes de volonté nécessaires à la survie. Miracles de la vie quotidienne : l'émerveillement devant tel meuble, tel objet, tel tableau, qu'un rayon de soleil éclaire d'une façon éphémère. Blake ne disait-il pas :
    He who binds to himsekf a joy
    Does the winged life destroy
    But he who kisses a joy as it flies
    Lives in eternity's sunrise
Peut-être avons-nous à voir le lever de soleil de l'éternité dans le sourire de la personne avec un handicap que nous rencontrons tous les jours.

Source imprimée
Texte d'une conférence publié dans Crise de société... recherche de sens. Actes du colloque du 10 mai 2001, p. 69-84. Montréal, Association canadienne pour la santé mentale, section Montréal, 2001, 123 p.
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