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Des Caraïbes européennes à la francophonie transaméricaine |
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Marc Chevrier |
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Texte |
On oublie souvent que le français est une langue panaméricaine : son inscription territoriale ne se limite pas au Québec et aux autres populations francophones du Canada, ni aux Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre et de la Louisiane. Par ses départements outre-mer des Caraïbes, la Martinique et la Guadeloupe, et celui de Guyane, taillé au nord-est du continent sud-américain, et par la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin, la France possède un prolongement dans les Amériques, qui en fait un État intercontinental. Et bien sûr, Haïti donne aux îles des Caraïbes un visage français et créole. En 2000, on comptait environ 1 500 000 francophones réels dans l'espace des Caraïbes, soit 13% de la francophonie panaméricaine (1). Et l'acteur le plus actif pour promouvoir le français dans la région demeure la France, devançant et de loin le Québec, qui n'a pas les moyens d'avoir une véritable diplomatie, et le gouvernement fédéral canadien, qui se garde bien d'y faire quelque promotion que ce soit du français. Les actions de la France sont assez nombreuses et diverses. Elle compte pour une grande part sur ses établissements scolaires installés dans la région et sur le réseau des Alliances françaises. Le français est enseigné dans plusieurs pays de la région : au Costa Rica, son enseignement est obligatoire au secondaire, il est la deuxième langue étrangère enseigné dans le système éducatif de la République dominicaine (2). Mais le français doit faire face à la concurrence d'autres langues, comme l'espagnol et le portugais, enseignées aussi à titre de langue étrangère. De plus, la France a annoncé vouloir resserrer ses liens avec des pays tels que Panama, Cuba, la République dominicaine et le Brésil, en plus du soutien accru qu'elle a accordé à Haïti dévastée par le tremblement de terre de 2010. Il n'empêche que la France ne se voit pas encore comme "panaméricaine". S'agissant de la Guyane, le géographe Stéphane Granger a préféré parler d'une Caraïbe européenne. Du reste, le vocabulaire administratif employé par la France pour désigner ses collectivités américaines, départements ou collectivités outre-mer, souligne l'extériorité sinon l'étrangeté de ces territoires français par rapport à la France hexagonale européenne et gomme leur inscription dans l'espace panaméricain.
Quant à la possibilité de faire advenir dans la conscience des peuples francophones d'Amérique l'idée d'une francophonie transaméricaine, elle reste pour l'instant un horizon bien théorique. Le Québec, le Canada et la France envisagent leurs relations dans un espace transatlantique, et non avec l'optique de renforcer les liens entre les peuples francophones américains sur un axe nord-sud. Il y certes depuis quelques années un intérêt pour la francophonie des Amériques; un centre a d'ailleurs été créé en 2008, sis à Québec, voué à la promotion de cette dimension de la francophonie, bien que la tonalité canadienne ou américaine semble prendre le dessus sur la dimension panaméricaine. On lira donc avec intérêt la communication de Benedicte Mauguière, professeure au Colby College dans le Maine, donnée précisément sur le concept de "francophonie transaméricaine" au congrès de l'ACFAS à Montréal en mai 2012. Mme Mauguière propose justement de sortir de l'imaginaire transatltantique qui relègue le français au statut de langue étrangère aux Amériques et condamne les écrivains francophones de ce continent à se voir comme des créateurs biculturels rattachés à un archipel dispersé en conflit constant avec leur inscription américaine. Aline Lechaume et Éric Waddell ont également réfléchi sur les moyens de susciter une conscience panaméricaine de la francophonie, qui suppose la rencontre des francophones nord-américains et de ceux qui habitent les Caraïbes. Ils écrivent : "La carte de la francophonie ne doit plus se lire à l'aune du Québec ni même du Canada en Amérique...Désormais, l'essor de la francophonie panaméricaine tient à une condition sine qua non : la rencontre du Québec, et donc de l'ensemble de l'archipel de la francophonie nord-américaine, avec celui de "l'aire créole" de la Caraïbe" (3). Mais si les premiers possèdent déjà une identité américaine forte, ce ne semble pas le cas des deuxièmes : " Les insulaires de "l'aire créole" de la Caraïbe n'ont jamais eu une conscience américaine, et, encore moins, un sentiment d'appartenance à la francophonie américaine" (4). Une réflexion à suivre...
Notes
(1) F. Taglioni, "Les Départements Français d'Amérique et la République d'Haïti : poussières d'empires isolées dans la non-francophonie Caraïbe" in A. Fauchon, (dir.), La francophonie panaméricaine : états des lieux et enjeux, Winnipeg, Presses universitaires de Saint-Boniface, 2000, p. 341 et s.
(2) Olivier Dezutter, "La français, deuxième langue étrangère dans le système éducatif de la République dominicaine : à quelles conditions?, Le français dans l'université, 17-02-2012.
(3) Aline Lechaume et Éric Waddell, "Le Québec et la Caraïbe face à la zone de libre-échange des Amériques", Hermès, 40, 2004, p. 319.
(3) Ibid., p. 322.
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Source |
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Genre de texte |
Analyse |
Secteur |
Politique |
Discipline |
Géographie humaine |
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