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Réchauffement climatique et refroidissement linguistique
Le français, langue de l'environnement? Rien n'est moins sûr. Pour l'heure, il n'a toujours pas droit de cité au sein des instances onusiennes travaillant sur le réchauffement climatique, qui viennent de déposer le 2 février 2007 un important rapport d'un groupe d'experts international sur l'évolution du climat, en anglais exclusivement, au coeur même de la capitale française où siège la Francophonie.

Extraits de livres
La politique linguistique au Québec, 1977-1987
Michel Plourde
Institut québécois de recherche sur la culture



L’avenir du français au Québec est intimement lié à l’avenir du Québec dans tous les secteurs. Une langue n’avance jamais seule quand elle est l’expression d’une identité, le symbole de valeurs collectives.

Dossier
Esprit (revue)
DéfinitionAperçusDocumentation



Définition
Le francais langue vivante. C'est le thème du numéro de novembre 1962 de la revue Esprit. Ce fut l'événement intellectuel fondateur de la Francophonie.

Rétrospectivement, l'importance de ce numéro est plus manifeste peut-être qu'elle ne le fut au moment de la publication. 1962! En Afrique c'était l'époque des indépendances, au Québec celle de la révolution tranquille, en France celle des lendemains de l'empire. Il fallait que tous ceux qui, dans le monde, restaient attachés à la langue française, même si elle n'était pas la seule langue de leur pays, ni toujours une de ses langues officielles, puissent se soutenir mutuellement. Il fallait que la France propose un nouvel avenir à tous ces jeunes qui devaient renoncer à une carrière dans l'empire. Le marxisme s'imposait dans les anciennes colonies et, en France, parmi les intellectuels. Il proposait une solidarité mondiale fondée sur une classe sociale. Pour Jean-Marie Domenach, directeur de la revue Esprit, ce n'était pas là une solution viable. Il entrevoyait plutôt une solidarité fondée sur la langue et la culture françaises. Aidé de Camille Bourniquel, il rassemble des collaborateurs de toutes les régions de l'actuelle Francophonie: le Sénégalais Léopold Senghor et le Québécois Jean-Marc Léger sont de ce nombre. Le premier fera l'éloge de la langue française et proposera une définition de la Francophonie, le second soutiendra que la défense et l'illustration de cette langue est la responsabilité commune de tous les francophones du monde.

Ce numéro a le rare mérite d'appartenir au passé, ce qui en fait un lieu de réconcialition entre les opinions opposées et d'être une anticipation visionnaire des grandes questions actuelles, ce qui permet de mieux comprendre le présent en l'observant d'un passé qui est aussi une altitude. Il suffit pour s'en convaincre de relire le liminaire.

On le trouve en accès libre sur le site de la revue. Nous le reproduisons ici. On trouve aussi en accès libre le bel article de Léopold Senghor sur la langue française. C'est de cet article que provient la définition si souvent citée de la Francophonie. Nous donnons des extraits de cet article et également d'un autre article de Senghor, où il est question de l'idée d'évolution telle qu'un Noir pouvait l'interpréter en 1962. Suivent des extraits des articles de Jean-Marc Léger (texte complet en accès libre sur le site de la revue Esprit) de Pierre-Henri Simon (texte complet en accès libre) de Jean Lacouture, de Camille Bourniquel. On trouvera d'autres extraits de ce numéro dans les dossiers Liban, Haïti et Aimé Césaire.
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Jean-Marie Domenach, Camille Bourniquel: Liminaire

«La technique façonne le monde actuel, imposant des objets et des comportements semblables. Inquiètes, se croyant menacées, les cultures s'efforcent dans le même temps de retourner à leurs sources traditionnelles. Entre ces deux phénomènes grandit une contradiction : pour un peuple est-ce perdre son âme que d'entrer dans le circuit d'une civilisation planétaire ? Est-ce se trahir lui-même que de parler la langue d'un autre afin de se sentir plus à l'aise dans ce circuit ?

Paul Ricœur écrivait récemment 1 : « L'histoire des hommes sera de plus en plus une vaste explication où chaque civilisation développera sa perception du monde dans l'affrontement avec toutes les autres. Or ce procès commence à peine. » La constitution de vastes ensembles linguistiques va dans le sens de cet affrontement. Mais il ne s'agit plus d'une pression sur le colonisé: pour être au niveau de la communication mondiale, pour entrer plus vite dans les secrets de la technique, des nations nouvelles recourent à des langues que l'histoire a dotées d'une fonction supra-nationale. Le français est l'une d'elles.

A partir de là, se posent des problèmes à peine entrevus. Entre ces langues vernaculaires et la langue véhiculaire quels seront les rapports? Elimination ? Contamination? Bilinguisme ?... Et quelles conséquences pour les usagers et pour les cultures traditionnelles? Enfin, dans le nouvel espace linguistique ainsi défini entre des communautés différentes par la race, le climat ou le niveau social, peut-on espérer que s’imposera le sentiment d'une solidarité, d'une responsabilité commune ?

Il y a dans tout langage humain quelque chose de plus qu'un ensemble de signes qui rendent la pensée intelligible; une tradition, une culture, toute une hérédité s'exprimant au-delà des mots et signifiant plus qu'eux. Qu'attendre de ces hybridations, de ces métissages?

Nous abordons ces questions sur le cas du français puisque c'est la langue que nous parlons, la langue dans laquelle s'exprime cette revue qui, à son premier numéro ­ il y a trente ans ce mois-ci ­, portait fièrement en exergue «revue internationale ». De plus, le cas du français est particulièrement actuel et significatif. Langue de culture, chère aux élites traditionnelles, il doit être d'abord, pour des peuples qui s'émancipent, langue d'expression populaire et d'apprentissage technique, langue vivante. ­ Arme du colonisateur, puis arme des colonisés, il est revendiqué par la plupart d'entre eux comme un instrument de promotion. ­ Véhicule par excellence de l'Europe classique, il est promu de nouveau au rôle de langue mondiale, alors que les valeurs de l'Occident se voient âprement contestées.

Que naîtra-t-il de tout cela? L'avenir détient seul les réponses et il ne nous appartient pas de décider à la place de ceux qui ont désormais en mains les commandes de leur destin. Notre intention était seulement de prendre la mesure de la francophonie, sans l'enfermer dans une visée nationale, en faire quelque habile revanche d'un impérialisme frustré, mais au contraire en la situant d'emblée dans son contexte mondial, aux frontières des religions, des cultures et des politiques. Est-ce à dire que tout souci national soit absent de ce numéro? Certes non. Le français a été d'abord, et il est encore la langue des Français. Son importance au-delà du foyer d'origine dépendra pour une bonne partie de ce que les Français auront à dire et de ce qu'ils voudront faire. Un «fait français» enveloppe et déborde la langue; à lui seul il exigerait un autre numéro spécial, que nous lui consacrerons un jour. Il a survécu ­ les Canadiens en témoignent ­ à la catastrophe politique. L'apparition des nouveaux Etats francophones lui rend sa place internationale au moment où on la croyait condamnée. Mais, dans la compétition des puissances, son originalité ne survivra que si les Français eux-mêmes y mettent leur foi, s'ils sont capables d'inventer encore de nouvelles formes et de donner des réponses humaines aux besoins du monde contemporain.

Alors que, la guerre d'Algérie terminée, la France rentre en France, trop de Français ne voient là qu'un repli et la fin de toutes les grandeurs passées. Mieux vaudrait pour eux accéder à cette dimension nouvelle et y inscrire leurs efforts. Le fait français dans le monde, c'est aussi l'exemple de cet instituteur enseignant à 250 enfants tunisiens dans une même journée. C'est encore, grâce à la langue, la chance de participer dans les meilleures conditions à la confrontation mondiale. Le risque est à la mesure, et c'est assez dire qu'il nous lie. De tous ceux qui parlent notre langue dans le monde monte une exigence qui nous commande et qui, elle aussi, nous pousse vers l'avenir.»
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Senghor: "Le français langue de culture"

« Troisième raison: la syntaxe. Parce que pourvu d'un vocabulaire abondant, grâce, en partie, aux réserves du latin et du grec, le français est une langue concise. Par le même fait, c'est une langue précise et nuancée, donc claire. Il est, partant, une langue discursive, qui place chaque fait, chaque argument à sa place, sans en oublier un. Langue d'analyse, le français n'est pas moins langue de synthèse. On n'analyse pas sans synthétiser, on ne dénombre pas sans rassembler, on ne fait pas éclater la contradiction sans la dépasser. Si, du latin, le français n'a pas conservé toute la rigueur technique, il a hérité toute une série de mots-pierre d'angle, de mots-ciment, de mots-gonds. Mots-outils, les conjonctions et locutions conjonctives lient une proposition à l'autre, une idée à l'autre, les subordonnant l'une à l'autre. Elles indiquent les étapes nécessaires de la pensée active: du raisonnement. À preuve que les intellectuels noirs ont dû emprunter ces outils au français pour vertébrer les langues vernaculaires. À la syntaxe de juxtaposition des langues négro-africaines, s'oppose la syntaxe de subordination du français; à la syntaxe du concret vécu, celle de l'abstrait pensé: pour tout dire, la syntaxe de la raison à celle de l'émotion.

Quatrième raison: la stylistique française. Le style français pourrait être défini comme une symbiose de la subtilité grecque et de la rigueur latine, symbiose animée par la passion celtique. Il est, plus qu'ordonnance, ordination. Son génie est de puiser dans le vaste dictionnaire de l'univers pour, des matériaux ainsi rassemblés ­ faits, émotions, idées ­, construire un monde nouveau: celui de l'Homme. Un monde idéal et réel en même temps, parce que de l'Homme, où toutes les choses, placées, chacune, à son rang, convergent vers le même but, qu'elles manifestent solidairement.

C'est ainsi que la prose française ­ et le poème jusqu'aux Surréalistes ­ nous a appris à nous appuyer sur des faits et des idées pour élucider l'univers; mieux, pour exprimer le monde intérieur par dé-structuration cohérente de l'univers. [...]

Il n'est pas question de renier les langues africaines. Pendant des siècles, peut-être des millénaires, elles seront encore parlées, exprimant les immensités abyssales de la Négritude. Nous continuerons d'y pêcher les images-archétypes : les poissons des grandes profondeurs. Il est question d'exprimer notre authenticité de métis culturels, d'hommes du XXe siècle. Au moment que, par totalisation et socialisation, se construit la Civilisation de l'Universel, il est, d'un mot, question de nous servir de ce merveilleux outil, trouvé dans les décombres du Régime colonial. De cet outil qu'est la langue française.

La Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des "énergies dormantes" de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire. "La France, me disait un délégué du FLN, c'est vous, c'est moi : c'est la Culture française." Renversons la proposition pour être complets : la Négritude, l'Arabisme, c'est aussi vous, Français de l'Hexagone. Nos valeurs font battre, maintenant, les livres que vous lisez, la langue que vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone. »

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Jean-Marc Léger : "Une responsabilité commune"

«Mais un autre phénomène s'est produit en même temps, qui a lui aussi, à sa façon, quelque chose de révolutionnaire: à la notion de domination incontestée, de monopole de la France dans tout ce qui était défense et rayonnement de la langue et de la culture françaises, s'est lentement substituée la notion d'association. Les vieux pays francophones, si je puis employer cette expression: Canada français, Belgique wallonne, Suisse romande, notamment, se considèrent désormais responsables, non pas certes dans la même mesure, mais au même titre que la France, de la préservation et de la diffusion de la langue française, également "propriétaires" de l'héritage spirituel commun et, d'autre part, ont, avec raison, conscience d'apporter désormais une contribution, modeste peut-être mais authentique, au trésor commun. Déjà au cours de la guerre, il est arrivé, par suite des événements que l'on sait, que le Canada français et la Suisse romande ont en quelque sorte assuré la relève de l'édition française: dans le seul Québec, une trentaine de maisons d'édition (dont beaucoup d'ailleurs ont disparu au lendemain du conflit) ont réédité et diffusé massivement à travers le monde, des centaines de titres de la grande littérature française, de Racine à Claudel, de Pascal à Malraux, de Mme de Lafayette à Mauriac, à Georges Duhamel et Saint-Exupéry.

Ces communautés francophones, à cause même de leur situation souvent difficile et de la nécessité constante de défendre et de faire respecter leur langue et leur culture, entretiennent une vigilance, une inquiétude souvent fécondes et ont sur ce plan une habitude et un sens de l'action défensive et de l'organisation que ne possèdent pas (et n'avaient pas jusqu'ici besoin de posséder) les "Français de France". En d'autres termes, pour l'immense majorité des Français, le rayonnement universel de la langue et de la culture françaises était jusqu'à la dernière guerre quelque chose qui allait de soi, qui était lié à la puissance et à l'influence de l'État français, à la reconnaissance mondiale d'une certaine primauté de la langue française, langue qui restait celle de la politique internationale et de la diplomatie comme en témoignaient les débats de la défunte Société des Nations.


Le choc brutal de la deuxième guerre, bien illustré dans le fait que le français ne fut accepté que de justesse comme l'une des langues officielles de l'ONU, a fait prendre conscience aux Français du besoin d'une liaison plus étroite avec les pays et les peuples qui partagent leur langue et leur culture ainsi que du besoin, dans cette ère nouvelle, d'une action organisée, systématique, de défense et de "promotion" des valeurs culturelles françaises. Mais cette prise de conscience n'est intervenue que lentement et un obstacle important devait d'autre part ralentir l'action de l'État français. Cet obstacle réside dans le mouvement de décolonisation qui, s'il s'est effectué dans certaines régions dans des conditions heureuses, s'est accompli ailleurs dans l'amertume et la violence: d'où la méfiance de certains jeunes États envers les entreprises d'ordre éducatif et culturel des services officiels français.»

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Senghor : "Défense de l'Afrique noire"
Cette idée d'évolution

«J'entends les malins qui iront disant que les populations de l'Afrique noire ne sont pas assez "évoluées". Nous reviendrons sur cette idée d'évolution, qui est une idée fausse. Nous pouvons dire, dès maintenant, que c'est leur qualité d'humains qui confère des droits aux hommes, non leur qualité d'"évolués", de "civilisés".

C'est à l'idée même d'évolution qu'il faut s'attaquer. C'est une idée "bourgeoise", donc intéressée, comme le démontrent les faits que nous venons de signaler. C'est de plus une idée faussement scientifique. Elle suppose, en effet, que l'essence de la civilisation est d'évoluer, d'être dynamique. Nous savons que la civilisation européenne occidentale, en l'espace de deux mille cinq cents ans – ce qui est bien peu dans l'histoire de l'humanité – n'a pas traversé moins de quatre crises dont chacune a profondément transformé l'échelle des valeurs humaines en Occident. Mais nous savons qu'il y a eu de grandes civilisations qui sont restées statiques pendant des millénaires, telles les civilisations égyptienne et chinoise. La fièvre de l'Occident n'est donc pas par elle-même un critérium de civilisation. Cette idée d'évolution suppose également que la marche de chaque civilisation doive se faire suivant le processus européen: Grèce, Rome, moyen âge, temps modernes. Autrement dit: humanisme, chrétienté, économisme. On pourrait d'ailleurs ajouter d'autres séries selon d'autres points de vue. C'est là la conception "linéaire" de l'évolution. Ce qui est vrai, c'est que toute civilisation naît, se développe, décline et renaît – parfois plusieurs fois – avant de s'épuiser et de mourir, mais, dans chaque cas, suivant son rythme propre et ses traits singuliers. »

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Camille Bourniquel : "Distance du semblable"
Sur la poésie nègre

Dans le langage qui s'offrait à elle, cette poésie n'a pas choisi l'écriture au cordeau ni les secs préceptes d'une bienséance de l'esprit, mais le grand baroque du XVIe siècle, Corneille, Hugo, Lautréamont, Rimbaud, Péguy, Claudel et Perse. «Le français, ce sont les grandes orgues qui se prêtent à tous les timbres, à tous les effets... flûte, hautbois, trompettes, tam-tam et même canon», affirme Senghor. Et c'est aussi, ajoutons-nous, cette fraîcheur, cette liquidité de voyelles qui, à travers les lumières les plus délicates, ne cessera désormais de faire resplendir une lumière plus éclatante et venue d'autres horizons.
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André Martinet, "Le français tel qu'on le parle"
Parler l'anglais avant de le lire, lire le français avant de le parler.

On entend souvent dire que l'orthographe française et l’orthographe anglaise sont également mauvaises en ce que l'une et l'autre déguisent la langue parlée plutôt qu'elles la représentent. En fait les défauts des deux systèmes sont de nature très différente: l'orthographe anglaise est détestable pour ceux qui lisent et écrivent la langue avant de la parler parce qu'elle ne permet guère de prononcer de façon identifiable un mot dont on ne connaît que la forme écrite: comment deviner que steak rime avec lake et non avec leak? Il convient donc d'apprendre à parler l'anglais avant d'apprendre à le lire. L'orthographe française permet à peu près à celui qui voit un mot écrit de retrouver sa prononciation; les cas comme gageure qui ne rime pas avec majeure mais avec jure, comme arguer où le u est celui de huer et non celui de larguer, sont assez exceptionnels et l'on aurait mauvaise grâce à reprocher à un étranger des prononciations orthographiques qui doivent être celles de la majorité des Français. Mais celui qui parle le français doit peiner longtemps avant de savoir comment l'écrire. Il faudrait donc apprendre à lire le français avant d'apprendre à le parler, et c'est bien là ce qu'on a longtemps fait dans les classes où on l'enseignait comme langue étrangère.

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Pierre-Henri Simon : "Un langage est un destin"

«"C'est le soldat qui mesure l'étendue de terre où il est parlé français", disait Péguy. La valeur de cette proposition, qui ne fut jamais que relative, est tombée bien près de zéro dans les conditions de la civilisation moderne. Jadis, le langage de la Grèce captive a captivé le Romain vainqueur; puis les barbares vaincus ont appris le latin; et enfin la plus haute période de l'Europe française dans l'ère monarchique n'a pas correspondu au règne solaire de Louis XIV, ni plus tard au grand vol des aigles napoléoniennes, mais à la France de Louis XV, resserrée dans ses frontières et déchue de la primauté continentale. Pour le présent, la multiplication des rapports de conscience dans un monde où les idées circulent à la vitesse de l'éclair et les hommes à celle du son, la diffusion gigantesque des moyens d'expression, presse, radio, télévision, ont donné à toutes les langues les mêmes chances d'être entendues: leur empire ne dépend plus que secondairement de conditions militaires et politiques, mais essentiellement de la qualité, du message qu'elles portent et de leur commodité en tant qu'instruments de communication.»

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Jean Lacouture : "Ce défaut français"
La langue française, instrument de résistance au Moyen Orient.

«Observons d'abord que l'usage du français dans le monde arabe n'a pas pour origine l'imperium colonial. Avant que Thomas Bugeaud échangeât avec Abd-el-Kader quelques onomatopées agrestes, sur les bords de la Tafna, on parlait français dans le monde arabe. Et pas seulement pour demander au général Bonaparte de ne pas pointer ses canons sur les mosquées du Caire, ni pour exiger le remboursement des dettes contractées par le gouvernement de la Ière République vis-à-vis des fournisseurs algérois de céréales, ni pour repousser les ultimatums de M. de Polignac au dey Hussein. Mais parce que les "relations culturelles" étaient déjà nouées, parce qu'un intellectuel égyptien comme Rifaa Rafeh el Tahtaoui, était venu visiter le Paris des débuts du romantisme et y avait appris notre langue, parce que les jésuites de Beyrouth entretenaient, du Liban à Alexandrie, des foyers d'enseignement extrêmement vivants, et aussi parce qu'avec les progrès de la pénétration impériale britannique, le recours au français comme langue d'échange et de culture allait paraître au monde arabe du Proche-Orient la forme la plus subtile de résistance à la colonisation (alors que la réciproque ne s'observera guère chez "nos" nationalistes maghrébins, immuablement rétifs à l'anglais hormis l'infatigable M. Ben Barka et ceux qui firent un long stage à l'O.N.U.).

Ainsi, tout au long de la deuxième partie du XIXe siècle, au Proche-Orient, le français est-il le langage de la liberté – contre l'Anglais, contre le Turc. "La poudre et les balles" de la révolte sont empruntées à Hugo, "les misérables" du monde arabe se reconnaissent dans les enfants Thénardier, et il n'est pas de petit romantique français, tel Alphonse Karr, qui n'ait contribué à accentuer ce qu'il faut bien appeler l'ambiguïté du rôle de la France dans le monde arabo-musulman. Les intellectuels égyptiens voyant surgir les escadrilles de M. Mollet, en octobre 1956, après les Syriens molestés par Gouraud, trouvèrent en effet l'antithèse un peu rude...

Les Nord-Africains avaient été plus tôt désabusés, et pour aimer Lamartine, c'est à travers le langage martial des officiers de garnison et des commandants de "bureaux arabes" qu'ils s’étaient d'abord faits à notre langue. Mais il serait malhonnête de simplifier, en une telle matière. D'abord utilisé au Maghreb par les hommes de Bourmont et de Pélissier, d'abord instrutnent de conquête, le français sera tour à tour ou simultanément instrument d'échange et d'unité, d'amitié puis de révolte, enfin de développement technique et de création esthétique. Rôle complexe, on le voit, et qui ne se peut résumer en une formule polémique sur l'impérialisme culturel ou sur l'apport civilisateur.»






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Site officiel de la revue Esprit.
Esprit : une revue dans l'histoire 1932-2002
Esquisse de l'histoire de la revue Esprit, de sa fondation, en 1932, à l'année 2002, proposée sur le site officiel de la revue. On peut le télécharger, en format PDF (730 k).