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Questions vives
Fin des méchants capitalistes et des bons travailleurs?
Pour ce qui est de la culture de transition, voici un avis partiel.  Cette transition devra pour réussir rompre avec la traditionelle rhétorique des méchants capitalistes et des bons travailleurs.  Pour aller vers une société qui ne soit plus sous le seul joug de la loi du profit des seuls actionnaires, il nous faut apprendre à articuler son organisation aussi autour d'une reconnaissance des droits et responsabilités ainsi que d'un pouvoir réel des véritables producteurs des biens et services. Les quatre axes choisis - l'argent comme outil indispensable à la circulation de l'information financière, la responsabilité sociale et collective de nourrir l'humanité, la destruction de notre habitacle planétaire, une diversification énergétique équilibrée - sont effectivement à ce point inter reliés qu'il est à mon avis suicidaire d'imaginer pouvoir les dissocier dans la recherche des solutions. La connaissance et l'éducation pour tous, sans lesquelles les techno-sciences ne pourront pas être mises au service du bien commun, doivent être cultivées dans un climat où respire une conception responsable de la liberté. Le socialisme démocratique que je prône n'a rigoureusement rien à voir avec les régimes totalitaires soviétiques ou chinois. Ces régimes n'ont été que des capitalismes d'État, beaucoup moins performant que le capitalisme privé; et on a vu comment a été facile et rapide leur passage dans le rang du plus fort. Le temps est venu de relire Le Capital avec un regard éclairé. Voir l'article du philosophe Lucien Sève, 'Marx contre-attaque', dans Le Monde diplomatique, décembre 2008, 3. Une culture de transition, développée dans une réelle valorisation de nos divergences, est une voie qui s'impose. ...

Document associé
L'enseignement français et les missions catholiques (document historique)
Dossier: Chrétienté

Albert Métin
Présentation
L'auteur, qui écrit à l'époque de la séparation de l'Église et de l'État en France, constate que, si «le but principal des missionnaires est de faire des chrétiens (...) ils ne se refusent point, dans les possessions françaises, à joindre à l'enseignement du catéchisme en langue indigène, à celui des prières en latin, l'enseignement du français, pourvu que l'État le paye». Dans ce court article, il se livre «à un examen rapide de la situation dans trois grandes colonies : Afrique occidentale, Madagascar, Indo-Chine ».

Texte
La République française n'a pas affaire avec l'Eglise catholique en Europe seulement, mais aussi, dans ses colonies et dans les deux régions où elle protège officiellement les catholiques de toutes nations, savoir, l'empire turc et l'Extrême-Orient. Hors d'Europe, l'Église est représentée par les missions, qu'alimentent les dons des fidèles pour la propagation de la foi et des salaires jusqu'à présent payés par l'État pour le service des paroisses et diocèses coloniaux. La séparation supprimera la seconde source de revenu, mais elle donnera aux missionnaires plus de liberté d'action. En tout cas, le gouvernement, s'il ne favorise plus par des subsides le propagation de la foi devra respecter à son égard, comme à celui de toute autre propagande la liberté de conscience et assurer à ses représentants comme à tous les citoyens français, la protection nationale. Aucune incertitude n'apparaît de ce côté. Mais on s'est demandé si le service de l'enseignement jusqu'à présent accepté par les missions en échange de subsides, n'allait pas être mis en danger par les mesures de laïcisation. La question est double. Nous avons à considérer d'abord les colonies, où l'enseignement est un service public et où la laïcisation vient de commencer, puis les pays de protectorat, Orient et Extrême-Orient, où l'enseignement français est une entreprise particulière subventionnée au nom de l'intérêt public et où la plus grande partie des subventions officielles va encore aux missionnaires.

En 1903, la Chambre a voté la laïcisation de l'enseignement dans les colonies; c'est en réalité l'organisation de l'enseignement qu'il aurait fallu dire. Pour m'expliquer, je n'ai qu'à citer un missionnaire français, le P. Louvel. «Nous n'avons pas, écrit-il, le fétichisme de l'instruction pour l'instruction. Ceux de nos compatriotes qui reprochent aux missionnaires de ne pas multiplier les écoles oublient trop facilement que la création d'une école de français et la solde du personnel enseignant, même avec la plus stricte économie, représentent certaines dépenses. Le sou hebdomadaire de la Propagation de la foi, qui soutient nos œuvres, n'est pas destiné précisément à cet objet, fort important, je l'avoue, pour nos compatriotes, mais accessoire au point de vue de notre vocation. Si l'administration veut avoir des écoles de français, il est juste qu'elle les paye.»

On ne saurait mieux poser la question. D'une part, le but principal des missionnaires est de faire des chrétiens; leur propagande est catholique dans le monde entier. D'autre part, ils ne se refusent point, dans les possessions françaises, à joindre à l'enseignement du catéchisme en langue indigène, à celui des prières en latin, l'enseignement du français, pourvu que l'État le paye. Jusqu'en 1903, les gouvernements coloniaux ont versé des subventions à cet effet; les résultats ont-ils répondu à la dépense, c'est ce que vont nous apprendre les rapports officiels. Je me bornerai à un examen rapide de la situation dans trois grandes colonies: Afrique occidentale, Madagascar, Indo-Chine.

Au Soudan le commandant militaire constate que les Pères blancs, après vingt ans de subventions, n'ont fondé que 10 écoles et 3 orphelinats, réunissant 583 élèves seulement. En Guinée le gouverneur écrit: «Après dix années de sacrifices de toutes sortes faits par la Guinée française en vue du fonctionnement régulier des écoles tenues par les missionnaires du Saint-Esprit, j'ai dû renoncer à les utiliser, ne pouvant obtenir aucun résultat effectif.» Il repousse une demande de concession nouvelle présentée par les missionnaires en vue de fonder un orphelinat et donne de son refus la raison suivante: «Il y a tout lieu de croire qu’ils se borneraient à exploiter les richesses naturelles à l'aide de la main d’œuvre fournie par les enfants qui leur seraient confiés, car ils sont coutumiers du fait.» Au Sénégal, enfin, la plus ancienne de nos colonies de l'Afrique occidentale, divers ordres se partagent depuis plus de soixante ans des subventions qui se sont élevées à 200,000 francs par an, donnés pour l’éducation; et pourtant un rapport officiel constate que dans les communes ou ils ont des établissements ils n'instruisent pas un cinquième de la population scolaire.

Faut-il en conclure que les missionnaires manquent de zèle et de dévouement? Pas le moins du monde, mais que le meilleur de leurs forces s'emploie pour le bien de la religion et que l'enseignement est à leurs yeux une besogne accessoire. C'est évidemment leur droit de penser ainsi, comme c'est celui du gouvernement français d'employer à leur place des éducateurs professionnels. Le gouvernement ne saurait sans doute gêner la liberté de la propagande religieuse, mais il doit éviter qu'elle se fasse en son nom et par des personnes chargées en même temps d'un service public comme celui de l'éducation. «Nous sommes à Tombouctou, écrit le commandant militaire du cercle en plein pays musulman, et la seule qualité d'être chrétienne est un obstacle au bon fonctionnement de l'école.» Un autre commandant militaire rapporte qu'ayant demandé aux parents musulmans pourquoi leurs enfants ne fréquentaient pas l’école, il reçut cette réponse: «Le jour où tu ouvriras une école qui ne soit pas tenue des pères, nous y enverrons nos enfants.»

À Madagascar, le général Galliéni donne des raisons analogues pour expliquer son arrêté du 25 janvier 1904, supprimant les subventions accordées jusqu'alors aux frères pour donner l'enseignement. Les indigènes avaient pris l'habitude d’identifier français et catholique, de croire que toute action française se faisait au bénéfice de la religion catholique; il importait de leur montrer que le gouvernement reste en dehors des luttes entre catholiques et protestants qui divisent les convertis de la grande île et que son rôle se borne à assurer à chacun la liberté de conscience. D'autre part, l'éducation était ici encore une œuvre secondaire pour les représentants de l'Église; les subventions n'allaient pas exclusivement aux œuvres d'enseignement telles que le gouverneur les avait définies: surtout, l'éducation professionnelle n'avait pas été instituée dans les conditions indiquées. «Les élèves, écrit le général Galliéni, sont non pas instruits, mais simplement utilisés à la fabrication courante du mobilier et du matériel nécessaires aux missions. On les spécialise ainsi non pas dans un métier, mais, dans un détail de métier, suivant le principe de la division du travail, qui est, sans doute, le plus avantageux au point de vue du rendement industriel dans une usine ou un grand atelier, mais qui est, en revanche, le plus contraire à la véritable méthode d'enseignement pour l'apprentissage d'une profession donnée.»

En Indo-Chine la situation est plus nette encore. Lors de la conquête, les Français ont trouvé installés dans le pays des missions catholiques françaises et espagnoles dont l'origine remontait au dix-huitième siècle. Les missionnaires avaient fait des conversions et groupé les convertis en villages chrétiens dirigés par des prêtres. Ils avaient appris l'annamite, et ils avaient apporté aux indigènes non pas le français, mais le latin, langue de l'Église. Ainsi font-ils partout, et nul n'a droit d'y contredire tant qu'ils ne sont pas chargés d'un service public. Mais, une fois l'Indo-Chine occupée par la France, les missionnaires acceptèrent des subventions pour se charger de l'enseignement public.

On se plaignit de les voir faire trop peu de place au français et aux programmes fixés par la colonie. En 1903, la Cochinchine déclara qu'elle ne renouvellerait pas sa subvention si l'enseignement du français n'était pas donné plus sérieusement. Alors l'évêque de Saigon, par une décision qui mérite d'être connue, refusa d'accepter la condition et préféra renoncer à la subvention. Comme motif, il allégua qu'on ferait des indigènes des déclassés en leur enseignant le français. La raison serait valable si on devait donner aux jaunes une éducation purement grammaticale et littéraire; mais dans cette possession comme dans les autres la véritable éducation française doit être surtout professionnelle; elle doit tendre à élever le niveau matériel, apprendre à nos administrés le moyen de mettre en valeur les ressources de leur pays en s'assimilant les méthodes et les procédés qui assurent à l'Occident sa supériorité. Or, si les missionnaires ont su créer pour le profit de l’Église des exploitations rurales à la mode du pays, le personnel et l'entraînement leur manquent pour instituer un enseignement professionnel véritable. L'évêque de Saigon est d'accord avec la colonie pour décharger l'Église de ce soin et pour le confier à d'autres.

L'évolution qui s'accomplit en ce moment dans nos colonies nous prépare à comprendre ce qui va se passer dans les pays de protectorat. Le plus important pour nous est l'Empire ottoman parce que la France y est officiellement protectrice de tous les catholiques sans exception. Ce fait a influé beaucoup sur les décisions ou plutôt les indécisions du parlement. C’est à propos des écoles catholiques d’Orient que Gambetta disait: «L’anticléricalisme n’est pas un article d'exportation.» C'est pour elles que la Chambre actuelle; sur la proposition de M. Leygues, a excepté des mesures contre les congrégations non autorisées les noviciats destinés à préparer des frères pour les missions. C'est à elles enfin que vont la plus grande partie des 7 ou 800,000 francs votés chaque année pour encouragement aux écoles françaises de l'étranger.

Je ne veux pas traiter ici le protectorat des catholiques:je rappelle seulement qu'il a été accordé à la France par la Turquie et reconnu par les autres puissances; c'est une question diplomatique, posée par les traités, et qui sera résolue par de nouveaux traités. Je me borne à l'enseignement français, qui n'est pas absolument lié au protectorat, et je résume la situation de la manière suivante: 1° le français est incontestablement l'une des grandes langues de communication internationale dans l'Empire ottoman et sur les bords de le Méditerranée; 2° jusqu'à présent, les principales écoles françaises et les seules régulièrement subventionnées sont les catholiques.

Dire que le premier de ces faits est la conséquence du second serait une affirmation singulièrement hasardée. Si le français se parle en Orient, s'il est resté la grande langue étrangère de l'Égypte même sous l'occupation anglaise, c'est parce que la France fut longtemps la principale nation commerçante et industrielle en rapport avec la Turquie et aussi la plus forte des puissances méditerranéennes. Sans ces avantages, toutes les subventions du monde n'auraient pu donner au français le rang qu'il occupe. Grâce à eux, il s’est imposé même à l'enseignement qui n'est ni français ni subventionné. Ainsi les écoles laïques arméniennes ont des maîtres de français dont beaucoup sortent de nos écoles normales, les écoles grecques orthodoxes en ont, les cent écoles de l'alliance israélite universelle enseignent le français comme langue étrangère de Constantinople au Maroc, les écoles turques l'ont mis à leur programme. Si, comme l'affirmait M. Leygues, le français est enseigné dans mille écoles et à cent mille élèves, il ne faudrait pas les attribuer toutes et tous aux missions subventionnées par la France. Le père Piolet, dans un ouvrage qui fait autorité, ne trouvait, en 1900, que 52,211 élèves des missions. Et quelle est la qualité de l’enseignement donné? Un professeur français, M. Gourdon, envoyé en mission spéciale l'année dernière, nous renseigne à ce sujet. L'étude mécanique de la grammaire (chinoiseries orthographiques et syntaxiques apprises par cœur), la nomenclature des fleuves et départements français sous prétextes de géographie, l’histoire de France par noms et par dates en insistant sur les croisades et saint Louis, pour toute science le calcul, enfin le catéchisme. Aucune adaptation au pays; pas d’école normale qui forme les maîtres et prépare des auxiliaires indigènes; voilà pour l'enseignement primaire, Dans les collèges, le vieil enseignement littéraire et latin. Le seul établissement supérieur est la faculté de médecine de Beyrouth, qui appartient aux jésuites; or «les auteurs français exigés au concours d'admission sont Bossuet et Fénelon», Je continue à citer M. Gourdon.

«Un enseignement étranger, transporté de toutes pièces, sans adaptation, dans le plus, hétéroclite des milieux scolaires, des méthodes passive, une doctrine désuète, ne peuvent produire que des «déracinés», des déclassés. Les villes dont encombrées de professeurs au rabais, d'ayocats sans cause, de médecins besogneux. On s'adresse continuellement à la métropole pour la prier d'ouvrir des débouchés aux anciens élèves des écoles françaises.

Aucun sens pratique ne dirige cet enseignement figé dans une pédagogie séculaire. Pas d'écoles de commerce: l'Institut commercial des frères, subventionné par la France, avait trois élèves, lors de mon passage, dans une ville où rivalisent des écoles commerciales grecques, italiennes, anglaises. Les écoles professionnelles, très rares, sont, ou des orphelinats réunissant quelques enfants spécialisés trop tôt dans un apprentissage sans valeur éducative, ou des entreprises industrielles comme celle des franciscains de Jérusalem, qui produit de l'imprimerie, des outils, des chaussures et des pâtés alimentaires avec cinquante apprentis et une centaine d'ouvriers.

«Tandis que l'étranger multiplie ses écoles commerciales, — les Italiens, suivant en cela les directions de leur ministres des affaires étrangères, se consacrent à ce type d'établissements, — nos missions multiplient leurs collèges et leurs couvents de jeunes demoiselles.»

Ni M. Gourdon ni les partisans sérieux de l'enseignement laïque ne songent à discuter l'abnégation et l'esprit de sacrifice des missionnaires de vocation; ni à leur contester le droit d'instruire dans la religion les catholiques du Levant et de propager leur foi, s'ils le peuvent, parmi les orthodoxes et les musulmans. Il demandent simplement si leur enseignement est celui qui devait être porté au nom et aux frais de la France en Orient, s'il est en mesure de soutenir la concurrence que nous fait l’Italie unifiée, devenue à son tour une puissance méditerranéenne, et si l’on ne pourrait pas employer plus utilement au profit de l'influence française l'argent que le parlement accorde au ministère des Affaires étrangères pour l'enseignement à l'extérieur.

En Extrême-Orient, les conversions sont plus faciles que dans les pays musulmans; aussi les missionnaires s'y montrent-ils surtout sous leur véritable aspect, celui de propagateurs de la foi. On les y trouve incorporés à la société, parlant le chinois, vêtus à la chinoise, portant la natte de cheveux. Aux débuts de la propagande, on vit même les jésuites essayer d'adapter la religion catholique aux croyances chinoises pour la faire accepter, et il ne fallut pas moins qu'une condamnation formelle du pape pour empêcher la création d'un rite nouveau. Aujourd'hui, on ne chi noise plus la religion, mais les missionnaires continuent à se chinoiser, pour pénétrer partout. Leur désir est de former des villages de convertis où les prêtres jouent le rôle de mandarins, administrent, rendent la justice, perçoivent les impôts. Ils ont obtenu à peu près tous ces avantages grâce à l'intervention des puissances. La France a été la plus active. Elle s'est fait accorder par la Chine le droit de protéger tous les catholiques (1844). Mais les autres puissances n'ont pas reconnu formellement ses privilèges: elle-même ne laisse pas d'en être embarrassée, à cause de la résistance qu'opposent les Chinois et des troubles qui en résultent. Mais, ici encore, ce n'est point le protectorat, c'est seulement la question des écoles que j’entends traiter.

Les établissements d'instruction fondés par les missionnaires français, les plus nombreux de tous, enseignent le chinois, le latin et en quelques endroits le français: ils sont essentiellement catholiques et chinois, comme toutes les œuvres des missionnaires en Chine. On laisse, par exemple, les parents chinois convertis mutiler les pieds des petites filles qu'ils confient aux sœurs, et on en donne pour raison qu'on ne saurait choquer les usages traditionnels. En un mot les missionnaires acceptent toute la civilisation chinoise, pourvu que les Chinois y superposent la religion. Or, sans discuter l'utilité de la foi chrétienne pour le développement moral, je demande si l'infériorité des Chinois par rapport à nous ne tient pas à l'ignorance des sciences et de leurs applications à la vie. Les Chinois sont parvenus à la même civilisation morale et littéraire que nous; mais ils se sont arrêtés au point où nous étions avant le dix-huitième siècle. L'éducateur qui pourra faire dépasser aux chinois cette étape s'assurera en Chine une influence prépondérante. Nous ne savons qui prendra ce rôle, mais trois siècles d'expérience permettent de dire que ce ne sera point l'Église.

En quelques mots voici comment la situation se résume. Dans les colonies, laïcisation et séparation ont pour effet la création d'un enseignement nouveau surtout professionnel, adapté aux besoins locaux, donné par des laïques et conçu comme un service spécial de première importance. Dans les pays de protectorat les missions continuent à donner une partie de l'enseignement avec des subventions du gouvernement français, mais une petite part des subsides leur à été retirée pour être donnée à des œuvres laïques, et ce mouvement continuera progressivement si l'on en juge par les dispositions de la Chambre. Dans ce cas la même transformation qui s'accomplit aux colonies se fera en Orient et en Chine. La France y apparaîtra comme une nation qui a, suivant le mot du P. Louvet, «le fétichisme de l'éducation pour l'éducation,» et qui, pour cela, créé dans les pays nouveaux des méthodes nouvelles, au lieu d'y importer les routines démodées de la métropole.

Quand on parle de cette transformation, deux questions sont posées. Aurez vous le personnel? Trouverez vous assez d'argent? La réponse peut être donnée par l’Alliance française, qui subventionne tant d'écoles à l'aide de ses souscripteurs, et par une société plus jeune, la Mission laïque fondée en 1900 par M. Deschamps, directeur de l'enseignement à Madagascar. La Mission laïque, organisée par l'initiative de quelques éducateurs et coloniaux avant les laïcisations aux colonies, a pris par l'effet de ces mesures même une importance considérable. Son rôle consiste à choisir des instituteurs laïques déjà en possession de leurs diplômes, à leur donner l'éducation complémentaire propre à les rendre utiles dans le pays où on les enverra, à pourvoir ainsi nos colonies d'un personnel nouveau, apte à sa tâche nouvelle, enfin à fonder des écoles laïques dans les pays d'Orient et d'Extrême-Orient où notre langue doit être défendue ou propagée. On demande des hommes; la Mission laïque reçoit plus d'offres acceptables qu'il n'existe de places à remplir. De l'argent! Mais les services scolaires des missions n'étaient pas gratuits. Aux colonies, les subventions locales, dans les pays de protectorat, les 800,000 francs du ministères des Affaires étrangères, enfin les souscriptions privées qui fournissent les allocations de l’Alliance françaises, de la Mission laïque et d'autres sociétés permettent de commencer l'œuvre nouvelle demandée par les chambres.

Pour montrer quels en seront les effets, je recourrai encore une fois au P. Louvet, et je citerai une de ses appréciations sur les «fausses idées que certains de nos compatriotes se font au sujet des missionnaires». Il s'agit du Tonkin au moment où la France plaça l'empire d'Annam sous son protectorat. «Nous ne sommes, écrit le missionnaire, nullement au service du protectorat, auquel nous ne demandons rien que de nous assurer la protection commune à laquelle tous les Français ont droit. Autant que personne, nous aimons notre pays, nous le servons de notre mieux et très utilement, suivant moi, en propageant l’Évangile et en multipliant le nombre des chrétiens... Qu'on ne nous demande pas davantage et qu'on ne cherche pas à nous tirer de notre vocation en voulant faire de nous des agents politiques ou commerciaux. À chacun son œuvre.»

Source
La Renaissance latine, année 4, tome 2, n° 5, 15 mai 1905
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