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Questions vives
Fin des méchants capitalistes et des bons travailleurs?
Pour ce qui est de la culture de transition, voici un avis partiel.  Cette transition devra pour réussir rompre avec la traditionelle rhétorique des méchants capitalistes et des bons travailleurs.  Pour aller vers une société qui ne soit plus sous le seul joug de la loi du profit des seuls actionnaires, il nous faut apprendre à articuler son organisation aussi autour d'une reconnaissance des droits et responsabilités ainsi que d'un pouvoir réel des véritables producteurs des biens et services. Les quatre axes choisis - l'argent comme outil indispensable à la circulation de l'information financière, la responsabilité sociale et collective de nourrir l'humanité, la destruction de notre habitacle planétaire, une diversification énergétique équilibrée - sont effectivement à ce point inter reliés qu'il est à mon avis suicidaire d'imaginer pouvoir les dissocier dans la recherche des solutions. La connaissance et l'éducation pour tous, sans lesquelles les techno-sciences ne pourront pas être mises au service du bien commun, doivent être cultivées dans un climat où respire une conception responsable de la liberté. Le socialisme démocratique que je prône n'a rigoureusement rien à voir avec les régimes totalitaires soviétiques ou chinois. Ces régimes n'ont été que des capitalismes d'État, beaucoup moins performant que le capitalisme privé; et on a vu comment a été facile et rapide leur passage dans le rang du plus fort. Le temps est venu de relire Le Capital avec un regard éclairé. Voir l'article du philosophe Lucien Sève, 'Marx contre-attaque', dans Le Monde diplomatique, décembre 2008, 3. Une culture de transition, développée dans une réelle valorisation de nos divergences, est une voie qui s'impose. ...

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La francophonie, Benoît XVI et le dialogue islamo-chrétien

Jacques Dufresne
Présentation
L’islam est la seconde religion en France. Les musulmans sont de plus en plus nombreux au Québec, au Canada, en Belgique. Au Moyen-Orient, au Maghreb et plus au Sud en Afrique, la ferveur augmente dans les mosquées.
Ce tableau est celui de la nouvelle francophonie. La francophonie est non seulement l’un des lieux où le dialogue islamo-chrétien pourrait s’approfondir, elle dépend pour sa survie même de l’issue de ce dialogue. C’est dans ce contexte que nous situerons notre réflexion sur l’apport du pape Benoît XVI à ce débat à l’occasion de son récent voyage en Allemagne.

Extrait
Ce dernier ne devient possible que dans la mesure où l’homme des Lumières accepte d’étendre le champ de la raison aux grandes questions qui préoccupent l’homme religieux et que ce dernier de son côté accepte d’accorder toute son attention aux arguments de son interlocuteur rationaliste avant de leur opposer les dogmes auxquels il est attaché.

Texte
Le défi est grand. Les francophones occidentaux peuvent-ils se présenter comme chrétiens ou héritiers des chrétiens, et à ce titre s’engager d’égal à égal, de croyant à croyant, dans un dialogue avec les francophones africains de plus en plus marqués par l’islam? Ils pouvaient le faire au début de la décennie 1960, alors que la francophonie n’était pas encore une institution. L’événement intellectuel fondateur de la francophonie fut en effet la publication dans la revue Esprit d’un numéro complet sur le sujet, celui de novembre 1962. Cette grande revue, fondée par Emmanuel Mounier, était alors dirigée par Jean-Marie Domenach et son lien avec la chrétienté était encore plus manifeste qu’il ne l’est aujourd’hui. Les Québécois Jean-Marc Léger et Jean Pellerin ont collaboré à ce numéro et, en tant que représentants du Québec de l’époque, ils ne pouvaient qu’endosser l’orientation chrétienne de la francophonie. On peut en dire autant du belge Jean Mayer.

La revue était en outre favorable à la décolonisation, ce qui la rapprochait de l’ensemble des francophones vivant hors de France, mais cette décolonisation, synonyme de modernisation pour bien des gens, avait une telle importance dans le débat politique du moment que le dialogue islamo-chrétien passait au second plan. On peut même dire que le matérialisme marxiste ou libéral paraissait promis à un meilleur avenir que l’islam dans l’ensemble de la francophonie africaine.

Qui donc prévoyait à la fois la remontée de l’islam modéré et celle du fondamentalisme islamiste? Qui donc songeait à se préparer au dialogue avec cet interlocuteur fort de son enracinement dans un passé glorieux et capable par là même de renforcer une identité mise à mal par des difficultés économiques, générales dans cette partie du monde?

S’il existe aujourd’hui dans la francophonie occidentale, qui est appelée au dialogue avec une francophonie africaine de plus en plus marquée par l’Islam, des chefs de file tels que monsieur Michel Guillou, qui ne craignent pas de se réclamer de la tradition messianique de la France, l’inspiration dominante est celle des Lumières. Et ce sont des auteurs comme Jean-Marie Borzeix qui donnent le ton en ce moment : «Je suis heureux et fier de constater que la langue française est encore perçue dans le monde comme héritière des Lumières, comme l’un des visages modernes de la tolérance, de la laïcité, de la résistance, de la liberté.»1

Le seul fait de se présenter en ces termes devant un interlocuteur musulman compromet le dialogue. Dans tout représentant des Lumières et de la laïcité, il y a un disciple plus ou moins avoué d’Auguste Comte et un adepte de ce mythe du progrès selon lequel les religions comme l’Islam et le catholicisme traditionnels sont la marque de la stagnation dans une mentalité pré-rationnelle, ou pire encore d’une régression vers cette mentalité. Cela, le musulman le sait et ne peut le ressentir que comme une forme de mépris.

Sauf exception, le laïc qui se réclame des Lumières est aussi, sinon adepte du scientisme pur, du moins convaincu que la raison s’accomplit dans la science et que hors de l’objectivité de cette dernière, l’universalité n’existe pas, tout étant relégué à la subjectivité.

Mais entre des subjectivités qu’aucune raison n’unit en profondeur le dialogue est-il impossible? L’homme des Lumières qui veut dialoguer avec le croyant, que ce dernier soit chrétien, musulman ou bouddhiste, doit d’abord convertir son interlocuteur à sa conception de la raison et du progrès ou tout au moins l’inviter à mettre ses croyances entre parenthèses. Ce n’est pas la façon la plus prometteuse de s’engager dans un dialogue.

Ce dernier ne devient possible que dans la mesure où l’homme des Lumières accepte d’étendre le champ de la raison aux grandes questions qui préoccupent l’homme religieux et que ce dernier de son côté accepte d’accorder toute son attention aux arguments de son interlocuteur rationaliste avant de leur opposer les dogmes auxquels il est attaché.

C’est là très précisément le sujet de la conférence du pape Benoît XVI à Ratisbonne. Il aborde aussi indirectement la question de la diversité culturelle devenue l’expression magique dans la francophonie, une expression qui pourrait bien nuire au nécessaire dialogue islamo-chrétien. Léopold Sédar Senghor a fondé la francophonie sur une conception classique, française de la culture. La notion de diversité culturelle assure l’émergence au sein de la francophonie de la conception anthropologique de la culture. Pourra-t-on échapper au relativisme qui accompagne cette conception?

Benoît XVI a très bien vu les dangers que comporte une telle dérive. La controverse qu’a suscitée la conférence aura eu le mérite d’attirer l’attention du monde entier sur un texte philosophique qui, tout en étant de très haut niveau, demeure assez clair pour que tout lecteur attentif et cultivé puisse le comprendre.

« Je suis vivement attristé, devait ensuite déclarer le pape, par les réactions suscitées par un bref passage de mon discours à l`université de Ratisbonne, considéré comme offensant pour la sensibilité des croyants musulmans, alors qu`il s`agissait d`une citation d`un texte médiéval, qui n`exprime en aucune manière ma pensée personnelle. »

Benoît XVI ne s’abaissait pas ainsi à des excuses que nul ne songerait à exiger du président de l’Iran pour des propos vraiment haineux et provocateurs; il faisait preuve, en tant que représentant de l’Occident et de l’Église catholique, née parmi les pauvres, de la compassion à laquelle l’oblige cette injustice structurelle qui élargit chaque jour la fissure séparant le Nord du Sud. Cette injustice, nous l’appelons structurelle parce qu’elle ne résulte pas d’actes isolés mais du prélèvement systématique par les pays riches du Nord d’une quantité disproportionnée des ressources non renouvelables, comme le pétrole, qui est, qui était plutôt, un don de la vie, depuis ses origines, à la terre et à l’humanité entière.

À mesure que s’aggraveront les conséquences d’une pollution qui est elle-même la conséquence de l’abus de la consommation de l’énergie fossile par les pays riches, le dialogue Nord-sud et particulièrement le dialogue entre musulmans et chrétiens (ou héritiers occidentaux des chrétiens) deviendra plus difficile. Quel sera le terrain commun qui rendra le dialogue possible ? C’est la question qui est au centre du discours du pape. Sa réponse est limpide : le terrain commun c’est la raison, non pas au sens rétréci qu’on lui a donnée en Occident en la réduisant à la science, mais au sens élargi que lui donnaient les Grecs quand ils l’appelaient logos et l’estimait apte à guider l’homme dans son exploration des questions métaphysiques et religieuses.

Non seulement, rappelle Benoît XVI, cette raison est-elle compatible avec la foi chrétienne, mais leur union constitue la poutre maîtresse de la structure intellectuelle du catholicisme. Il s’efforce ensuite de préciser, pour nous mettre en garde contre elles, les diverses formes que peut prendre la séparation de la raison et de la foi.

Ce qui l’amène à souligner le fait qui, après l’inégal partage des richesses non renouvelables, contribue le plus à séparer les chrétiens des musulmans : la relégation de ces derniers à un âge pré-rationnel de l’humanité. Nous évoquions précédemment la réduction de la rationalité à la science en Occident. C’est là, selon les mots de Benoît XVI, l’aboutissement de la seconde tentative de déshellénisation de la foi en Occident : « Hors du jeu concerté des mathématiques et de l’expérience, tout est livré à la subjectivité ».

Il en résulte un climat moral et intellectuel où la dernière secte apparue sur le marché peut prétendre à la même légitimité que les grandes religions et où il est impossible d’apporter une réponse à toutes les graves questions soumises aux comités d’éthique.

« L’homme lui-même est en cela diminué », ajoute Benoît XVI. Et alors que l’on commence à peine à mesurer les conséquences de ce renoncement à la raison élargie, une troisième vague de déshellinisation se déploie. «Au regard de la rencontre avec la multiplicité des cultures, on dit volontiers aujourd’hui que la synthèse avec la culture de la Grèce a été une première inculturation, réalisée dans l’Église antique, qu’on ne devrait pas imposer aux autres cultures. Ce serait leur droit de contourner cette inculturation pour revenir au simple message du Nouveau Testament, afin de l’inculturer à nouveau dans leurs espaces.»

Cette thèse cache, derrière les apparences de la reconnaissance de l’égalité entre les cultures, un secret mépris pour ces cultures non helléniques qui ne sauraient s’accomplir qu’en restant hors des limites de la raison. On frôle ici la confusion mentale, car la raison dont il est question ici n’est pas un simple trait de la culture grecque mais une caractéristique universelle de l’homme, caractéristique si bien célébrée par les Grecs qu’on leur en attribue parfois l’exclusivité.

Faire de la raison l’apanage d’une culture équivaut à dénier toute aptitude au dialogue aux représentants des autres cultures. Car la raison n’est rien d’autre qu’une aptitude innée au dialogue chez l’être humain. Et c’est sous cette forme que la raison est familière au commun des mortels. Le discours de Ratisbonne est en ce moment l’un des principaux sujets de conversation dans le monde. Le ton est parfois orageux, souvent l’unanimité, pour ou contre le pape, est trop vite acquise, mais souvent aussi, - dans la majorité des cas sans doute -, chacun écoute les arguments de l’autre pour en faire ensuite une critique que l’autre à son tour critiquera, les interlocuteurs étant unis tacitement par la conviction qu’on peut s’élever ainsi vers la vérité. Cette conviction est la raison sous sa forme native. Elle est alors proche de l’affectivité, de l’amour de l’autre et constitue elle-même un acte de foi dans la capacité qu’ont les hommes de se rapprocher de la vérité, surtout lorsqu’ils sont liés entre eux par l’amour.

C’est cette raison qui est à l’œuvre dans les dialogues socratiques. Elle a pour qualité principale de ne pas se laisser détourner de ses plus hautes aptitudes par le spectacle du mensonge présent dans tant de discours. «Il me vient ici à l’esprit, note Benoît XVI, un mot de Socrate à Phédon. Les discours précédents ayant évoqué beaucoup d’opinions philosophiques fausses, Socrate déclare : « On comprendrait aisément que quelqu’un, devant tant de faussetés, passât le restant de sa vie à haïr et à mépriser tous les discours sur l’être. Mais de cette manière, il perdrait la vérité de l’être et s’attirerait un très grand dommage. »

Comme première condition du dialogue, Benoît XVI demande donc au chrétien, à l’occidental en général, de s’élever jusqu’à la plénitude de la raison. Du musulman il n’exige rien aussi directement. Il se borne à indiquer un piège toujours présent chez les musulmans comme chez les chrétiens : la tentation de reléguer Dieu dans une transcendance où il devient inaccessible à la raison et où l’on ne peut l’atteindre que par une foi pure, c’est-à-dire aveugle à tout ce qui n’est pas directement et étroitement lié à la révélation.

Il cite à ce propos le professeur Theodore Khoury : «Pour la doctrine musulmane, Dieu est absolument transcendant, sa volonté n’est liée par aucune de nos catégories, fût-elle celle du raisonnable». Khoury cite à l’appui une étude du célèbre islamologue français R. Arnaldez, affirmant qu’«Ibn Hasm ira jusqu’à soutenir que Dieu n’est pas tenu par sa propre parole, et que rien ne l’oblige à nous révéler la vérité : s’Il le voulait, l’homme devrait être idolâtre».

«Ici s’effectue, poursuit Benoît XVI une bifurcation dans la compréhension de Dieu et dans la réalisation de la religion, qui nous interpelle directement aujourd’hui. Est-ce seulement grec, de penser qu’agir contre la raison est en contradiction avec la nature de Dieu, ou est-ce une vérité de toujours et en soi ? Je pense qu’en cet endroit devient visible l’accord profond entre ce qui est grec, au meilleur sens du terme, et la foi en Dieu fondée sur la Bible.»

Benoît XVI évoque plus loin les thèses de Duns Scot, dont il dit «qu’elles peuvent être rapprochées totalement de celles d’Ibn Hazm et qu’elles peuvent tendre vers l’image d’un Dieu arbitraire, qui n’est pas tenu par la vérité et le bien. La transcendance et l’altérité de Dieu sont placées si haut que notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus de réels miroirs de Dieu, dont les possibilités mystérieuses, derrière ses décisions effectives, nous restent éternellement inaccessibles et cachées.»

Le message du pape aux chrétiens et aux mulsumans est le même au fond : élevez votre raison jusqu'à Dieu, jusqu’à l’être. Il invite les premiers à ne pas faire de leur science une révélation et les seconds de ne pas faire de leur révélation une science.

En un paragraphe d’une rare densité il résume la doctrine chrétienne, centrée sur la notion d’analogie. «La foi chrétienne a toujours affirmé fermement qu’entre Dieu et nous, entre son esprit créateur éternel et notre raison créée, il existe une réelle analogie, dans laquelle les dissimilitudes sont infiniment plus grandes que les similitudes, mais cela ne supprime pas l’analogie et son langage (cf. concile Latran IV). Dieu ne devient pas plus divin si nous l’éloignons dans un volontarisme pur et incompréhensible, mais le véritable Dieu est le Dieu qui s’est manifesté dans le Logos, et qui a agi et qui agit par amour envers nous. Certes, l’amour « surpasse » la connaissance et demande en conséquence de prendre en considération plus que la simple pensée (cf. Eph 3, 19), mais il reste néanmoins amour du Dieu-Logos ; c’est pourquoi le culte de Dieu chrétien est ‘logiké latreia’ – culte de Dieu en accord avec la Parole éternelle et avec notre raison (cf Rm 12, 1).»

1- Jean-Marie Borzeix, Les Carnets d'un francophone, Boréal, Montréal, 2006, p.25

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